• Le complexe du castor, de Jodie Foster (USA, 2011)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Lundi soir, à 20h30

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

On a beaucoup parlé de l’ermite Terrence Malick ces dernières semaines, mais la césure entre Le complexe du castor et la précédente réalisation de Jodie Foster (Un week-end en famille en 1995, soit il y a seize ans) est presque aussi conséquente. La rareté de cette artiste – y compris comme actrice d’ailleurs, depuis une dizaine d’années – attise d’autant notre curiosité à l’égard de ce nouveau long-métrage, lequel doit également se montrer à la hauteur des attentes causées par la présence à l’écran du paria Mel Gibson et par la présence sur l’avant-bras gauche de celui-ci d’une marionnette de castor. Cet artifice est le seul moyen trouvé par le personnage interprété par Gibson, Walter Black, pour se remettre à communiquer avec son entourage, familial autant que professionnel, après plusieurs années passées dans les tréfonds d’une dépression aiguë.

Sur le papier, Le complexe du castor n’a pas les épaules assez larges pour satisfaire tous ces espoirs portés en lui. Il rentre trop obligeamment dans le rang des films indépendants américains formatés selon les mêmes standards pour apporter la même réponse aux mêmes attentes. Cela ne concerne pas l’ensemble du scénario, certes, mais tout ce qui se trouve en bordure du sujet central, et qui détermine dès lors l’envergure – ou l’absence de – que l’histoire est à même d’embrasser. L’utilisation des formules routinières de l’épanouissement professionnel et de la prospérité du noyau familial (avec en bonus paresseux l’inévitable phénomène d’attraction/répulsion entre un père et son fils) comme ouverture sur le monde du drame de Walter est une cloison pour le film. Elle l’empêche de donner la pleine mesure de son potentiel sur le long terme, cependant qu’à plusieurs reprises celui-ci est ponctuellement reconnu à sa juste valeur. Cela génère des séquences détonantes, parfois même dérangeantes – le climax de la relation ambiguë entre Walter et la marionnette, quelque part entre Fight club et un récit de Stephen King – mais qui ne sont jamais suivies d’effets d’ordre global. Le complexe du castor est un film indéniablement très fort en ce qui concerne le parcours individuel de son héros, auquel il refuse le cycle hollywoodien classique déchéance-réhabilitation ; Walter est déprimé dès le départ, et il l’est encore à la fin avec une dose de folie et d’échec en supplément. Mais c’est aussi un film qui avait tout pour être également marquant et spécial dans un examen plus large de la société, et qui à chaque fois qu’il a l’occasion de suivre cette voie choisit de prendre la tangente.

La réalisation de Foster souffre du même genre de flottement. La cinéaste se désintéresse de la possibilité de rehausser les parties faibles du scénario par un effort de style les concernant. Au contraire, elle aussi s’en remet dans ces moments à des procédés impersonnels – montages parallèles ultra prévisibles, bande-originale mielleuse omniprésente qui vrille les oreilles. Foster fait de la mise en scène par défaut dès lors qu’il n’est pas question du seul élément qui l’intéresse : le castor. Lorsque celui-ci est à l’œuvre à l’écran, ce qui est heureusement souvent le cas, la créativité de la réalisatrice se réveille et fait des merveilles. Sa virtuosité est autrement plus discrète que celle d’un Malick, mais sans elle il aurait été impossible au Complexe du castor d’éviter avec tant d’assurance le piège de la tartuferie ridicule. La marionnette est peut-être une entité à part entière dans l’esprit malade de Walter, mais il n’est jamais question pour Foster de lui accorder ce même statut dans le regard du spectateur. Dès la première « apparition » du castor, la réalisatrice sape les fondations d’une possible crédulité de notre part en montrant crûment les coulisses de l’effet spécial – à savoir que c’est la bouche de Walter qui parle, et son bras qui anime son alter ego en peluche. La suite du film met en avant un travail de mise en scène du même acabit, ne donnant au castor le statut de personnage (par l’utilisation de champs-contrechamps entre « lui » et un interlocuteur) qu’au cours des apartés ne concernant que Walter, limitant au maximum les moments de sketchs comiques, et étant toujours suffisamment intelligente pour rester sur le terrain dramatique et psychologique. Le but de Foster n’est pas de faire rire les gens prétendument normaux que nous sommes, mais de nous donner un aperçu le plus sensible possible de la dépression, et de sa sortie par le bas que représente la folie – même si l’entourage ne la perçoit pas immédiatement comme telle.

Sur ce, il est impossible de conclure cette critique sur autre chose que la performance de Mel Gibson dans le rôle principal. On a beaucoup parlé du repenti Mickey Rourke au moment de The wrestler, et de la forme de conjuration de ses déboires passés qu’il y accomplissait ; mais ce que fait Gibson dans Le complexe du castor est tout aussi fort, bien que moins démonstratif. Il met de toute évidence plus que son talent – lui aussi évident – dans son interprétation de cet homme en passe de tout perdre, par sa propre faute, et réduit à une fuite en avant animée par ses penchants autodestructeurs et qui le voit devenir un phénomène de foire. Jodie Foster a eu raison de lui confier le rôle, puis de voir l’importance que revêt l’hérédité entre lui et Walter Black. À n’en pas douter, le fait qu’elle ait pris pour elle le rôle de l’épouse, et l’ait rendue si subalterne afin que toute la lumière se concentre sur Walter, est la marque de cette prise de conscience.

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