• Le bûcher des vanités, de Brian De Palma (USA, 1990)

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Où ?

A la maison, enregistré sur Arte

Quand ?

Mercredi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Pièce à conviction A – synopsis du film (source : Wikipédia) :

Sherman McCoy, crème de la haute finance new-yorkaise, voit sa vie prendre un monumental tournant lorsque sa maîtresse renverse avec sa voiture un jeune homme de couleur. Il devient alors la proie des journalistes qui enflamment l’opinion publique, en particulier d’un journaliste sur le déclin qui a bien besoin de briller à nouveau.

Résumé du réquisitoire de l’accusation contre le film, un des plus malaimés de son réalisateur :

Adapter au cinéma un roman aussi fleuve, dense, dérangeant et complexe dans ses ramifications et ses caractères humains que Le bûcher des vanités de Tom Wolfe est une mission relevant de l’impossible. Accomplir une telle adaptation dans des conditions hollywoodiennes – à chaud immédiatement après la sortie du livre, avec un casting de stars, une durée forcément limitée à deux heures – ne fait qu’empirer les choses. Le résultat ne peut porter qu’un seul nom : une trahison de l’œuvre d’origine.

Par ailleurs Brian De Palma, qui a pourtant réalisé son lot de commandes de studios (des Incorruptibles à Mission to Mars), ne s’est jamais autant borné à un rôle d’exécutant qu’ici. Son investissement dans Le bûcher des vanités n’est clairement que professionnel, aucun de ses thèmes de prédilection et autres obsessions maladives – le double, la manipulation des images, et des personnes – n’apparaissant à l’écran.

La parole est maintenant à la défense :

Certes, la version filmée du Bûcher des vanités trahit en partie la création de Tom Wolfe, et pas de la plus belle des manières. Impossible de le nier en ce qui concerne son scénario, qui simplifie autant que possible le réseau narratif et les enjeux du roman, et encore plus en ce qui concerne l’épilogue du dit scénario, bâclé si soudainement que l’on s’attend presque à voir surgir dans le cadre des huissiers accompagnés de déménageurs venus embarquer les décors (ce qui apporterait une explication recevable à ce soudain empressement d’en finir). La tiédeur ambiguë de cette conclusion, qui semble se refuser à enfoncer le clou de la dureté de son message profond – tous pourris –, laisse également une impression bizarre, inaboutie. Car, durant tout ce qui l’a précédée, Le bûcher des vanités ne fait pas de manières pour exposer au grand jour l’étendue infinie des visages et des formes que peut prendre la médiocrité humaine. Et cela, principalement au moyen de la mise en scène on ne peut plus inspirée de De Palma. Après une ouverture en forme de pirouette narquoise (un plan-séquence de quatre minutes aussi virtuose que gratuit, pour un film s’intitulant Le bûcher des vanités…), le cinéaste va user de tout ce que sa grammaire cinématographique comporte comme techniques excessives et agressives dans le seul but de cette attaque en règle. Le film comporte plus de plongées et contreplongées (pour la plupart extrêmes), de focales très courtes qui écrasent le premier plan contre l’objectif de la caméra, de travellings à la steadycam, et autres effets, que de plans raisonnables, non remarquables. Se crée ainsi une ambiance explosive de satire grotesque, quasiment opératique dans son mélange de tragédie et de bouffonnerie. La référence à l’opéra est d’ailleurs faite ouvertement, avec cette séquence-charnière du récit se déroulant lors d’une représentation de Don Juan de Mozart.

La diatribe déchaînée du film laisse quelque peu de côté certaines des nombreuses cibles de Wolfe (journalistes, politiciens et autres leaders/faiseurs d’opinion) et se concentre principalement sur la richissime bourgeoisie des beaux quartiers de Manhattan – soit la cible la plus nantie, la plus dodue, et celle qui se croit le plus intouchable et indéboulonnable. Cela aussi est à mettre au crédit du Bûcher des vanités, que l’énergie phénoménale qui se dégage de la réalisation furieuse de De Palma transforme en brûlot révolutionnaire halluciné et mené au pas de charge, d’une violence à l’encontre des puissants rare dans le cinéma américain et d’une lucidité terrible quant au délitement généralisé de la société occidentale. Voir le film en 2011, année de la crise économique considérable causée par la spéculation financière sans limites, des inégalités entre riches et pauvres qui remontent à des niveaux effarants même dans les pays les plus développés, et année aussi de l’affaire DSK et de sa démonstration de justice-spectacle portée à son paroxysme, le remet au goût du jour ; voire lui donne presque un caractère prophétique. Le bûcher des vanités comporte en effet des éléments majeurs de son récit faisant écho de manière directe à chacun de ces sujets, sur le ton de la fiction la plus noire et la plus cruelle.

Pour finir, un mot sur le casting que l’accusation a étonnamment décidé de passer sous silence. Hormis un Morgan Freeman déjà coincé à l’époque dans une posture de référent moral sentencieux, les seconds rôles dégagent un plaisir communicatif à pratiquer la caricature, que ce soit Bruce Willis en journaliste alcoolique ou Melanie Griffith et Kim Cattrall en rentières narcissiques et détestables. Et que dire du choix de Tom Hanks, alors le gendre idéal d’Hollywood, pour interpréter l’antihéros Sherman McCoy, cynique, veule, menteur, incapable d’avoir la moindre prise sur son destin – si ce n’est qu’il s’agit là d’un des contre-emplois les plus géniaux jamais entrepris. Si génial qu’il paraît dans les premières minutes raté tant Hanks n’a pas du tout le profil de l’emploi pour jouer un « ennemi » installé sur le toit du monde tel que McCoy. Puis vient la révélation : Hanks, avec son physique, sa bonhomie, son timbre de voix, est justement mis là pour mettre à nu tout ce que McCoy a de minable et de pathétique dès lors qu’il est considéré pour ce qu’il est véritablement et non pour l’image publique soigneusement confectionnée que lui et son milieu social souhaitent imposer à notre regard. Une fois cette bascule opérée, plus rien ne peut empêcher le film de nous convaincre et nous bousculer – pas même sa fin défectueuse.

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