• Le bossu de Notre-Dame, de Gary Trousdale & Kirk Wise (USA, 1996)

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Où ?

A la maison, sur Canal+ à la demande

Quand ?

Dimanche matin, il y a deux semaines

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Le bossu de Notre-Dame, que je n’avais jamais vu, m’est tombé dessus par le hasard du zapping. Je me suis retrouvé nez à nez avec le numéro chanté Hellfire où le grand méchant en titre du film, Frollo, profite d’un moment de solitude pour exprimer l’étendue de la dépravation de ses pensées, mêlant désir libidineux et pulsions mortifères – le dernier vers de la chanson rend ce mariage on ne peut plus clair : « She [Esméralda] will be mine or she will burn ». Après avoir vérifié deux fois que c’était bel et bien le dessin animé Disney que j’avais sous les yeux, il était obligatoire que je le regarde en entier pour saisir l’ampleur de l’anomalie. Le bossu de Notre-Dame appartient au plus récent âge d’or de Disney, celui des années 1990, d’Aladdin et du Roi Lion. Le retour en grâce durant cette période est le fait d’un film qui était déjà étonnamment sombre pour le studio, La Belle et la Bête. Il n’y a pas de hasard, les deux réalisateurs de ce dernier, Gary Trousdale et Kirk Wise, sont également aux manettes du Bossu de Notre-Dame.

Ces dernières années, le concert de louanges à propos de la maturité et de la gravité parcourant les œuvres animées de Pixar a été quasi général. Il n’a rien d’immérité, mais on attend tout de même encore qu’ils fassent quelque chose d’aussi courageusement tragique et dur que ce qu’a accompli le duo Trousdale-Wise. Leur Bossu de Notre-Dame ne fait que peu d’accommodations adoucissantes vis-à-vis de l’œuvre qu’il adapte. Quasimodo est difforme, et vit enfermé dans les tours de la cathédrale ; Esméralda est une jeune femme qui, sans être le moins du monde mauvaise ou « perverse », ne rentre pas dans le moule de la princesse à la mode Disney. Mieux – ou pire, c’est selon –, certains des amendements du film ont tendance à aggraver la situation. Les sidekicks comiques du héros, des gargouilles de la façade de Notre-Dame, ne s’animent qu’en sa présence et retournent à leur état figé quand d’autres personnes surgissent, avec pour résultat que tout le monde considère Quasimodo comme fou d’affirmer discuter avec des blocs de pierre. Quant à Frollo, il passe du statut d’archidiacre à celui de juge, aux pouvoirs très larges, ce qui en fait un tyran régnant sur la ville et s’arrogant le droit de vie et de mort sur ses habitants.

Rien de bien joyeux ne va animer les aventures de ce trio, si ce n’est la décision des réalisateurs de ne pas faire mourir Esméralda. Ce demi happy end, puisque l’héroïne donnera son cœur au bellâtre blond Phœbus en laissant à sa solitude le bossu transi d’amour pour elle, ne compense pas les calamités multiples déclenchées par Frollo dans son débordement de haine et de répression : il incendie Paris tel Néron, ambitionne d’éradiquer les Gitans, pratique la torture au quotidien, commande sans hésitation la mise à mort d’individus sur le simple soupçon qu’ils ont pu aider des personnes recherchées. Autant d’exactions traitées allusivement d’un point de vue graphique mais formulées clairement dans les dialogues, ce qui va déjà bien au-delà du seuil de tolérance ordinaire d’un Disney. La résistance désespérée de Quasimodo et Esméralda à la furie de Frollo fait du Bossu de Notre-Dame un réquisitoire véhément contre la manie humaine à trier les « bons » citoyens des « mauvais ». C’était déjà le thème central de La Belle et la Bête. Ici, sur cette question qui leur tient de toute évidence à cœur, Trousdale et Wise affermissent encore leur réflexion en pointant directement du doigt les dégâts des abus de la politique et de la religion. Concernant la seconde la chanson God help the outcasts, sur le nombrilisme des soi-disant croyants qui attendent que Dieu accède à leurs caprices, est d’une virulence sans appel.

La machine esthétique grandiose qu’était Disney à l’époque du Bossu de Notre-Dame étant aveugle, elle s’est mise au service de ce propos terriblement sinistre avec la même intensité que pour des productions plus frivoles. L’utilisation des couleurs, des perspectives, des volumes, des ombres, est spectaculaire de bout en bout avec plusieurs morceaux de bravoure dans et autour de la cathédrale. Des chorégraphies des séquences d’action autant que des numéros dansés se dégage une énergie saisissante. L’humour est présent et très inspiré grâce au trio de gargouilles, chaînon reliant le Génie d’Aladdin et le délire en roue libre d’un Kuzco. Ce qui marque les esprits de la manière la plus indélébile est l’enveloppe musicale du film, fondée sur des chœurs grégoriens (Dies Irae, Kyrie Eleison) autour desquels s’enroulent orchestrations d’un lyrisme sans bornes et paroles d’une noirceur radicale. On en revient à Hellfire, qui ouvrait cette critique et qui la clôt : « [Maria] destroy Esmeralda, let her taste the fires of hell, or else let her be mine and mine alone ».

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