• Le 13è guerrier réhabilité

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L’une des sorties Blu-Ray phares de la fin d’année 2011 a été cette réédition du 13è guerrier, le plus célèbre des films maudits (et inversement) de John McTiernan. Par son rendu visuel et sonore sans faille, et surtout par l’excellence de ses suppléments, ce Blu-Ray offre à l’œuvre un écrin enfin digne de ses prodiges plutôt qu’imprégné du rejet injuste dont elle a fait les frais. Car Le 13è guerrier est un grand film, que cela soit dit une fois pour toutes. Ce qui ne veut pas dire qu’il est intouchable ; et les bonus tirent une bonne part de leur intérêt du regard non partisan et volontiers critique qu’ils portent sur lui, douze ans après sa sortie – quasiment tous ont été réalisés spécialement pour cette nouvelle édition. Ainsi le documentaire principal, A la recherche des mangeurs de morts, laisse à ses différents intervenants (des acteurs dont Antonio Banderas, des collaborateurs de McTiernan, ainsi que ce dernier en personne) toute latitude pour évoquer longuement et à leur guise le film et sa fabrication. Ils émettent des opinions, et même quelquefois des reproches, ce qui ne manque pas de surprendre dans le cadre d’ordinaire si lisse des suppléments DVD / Blu-Ray.

On rentre sans attendre dans le vif du sujet, les désaccords de fond entre McTiernan et sa némésis Michael Crichton, qui sont apparus dès l’écriture du script adapté du roman du second. McTiernan y voit des failles qu’il souhaite corriger (les ennemis pas assez terrifiants, entre autres) et a des idées supplémentaires qu’il souhaite intégrer (lui tient particulièrement à cœur de faire une conclusion reprise du film Zoulou) ; en somme, il souhaite simplement faire son travail d’adaptation d’une œuvre au cinéma. Ce qui est justement hors de question pour Crichton, incapable d’imaginer autre chose qu’un respect obséquieux envers sa création. Malheureusement pour McTiernan, ce n’est pas le seul front sur lequel il doit combattre puisque des frictions surgissent tout aussi rapidement avec le studio, Disney, qui ne veut pas de Michael Keaton comme acteur principal, ne veut pas de touches comiques dans la tonalité du film, ne veut pas d’inconnus dans les rôles secondaires… Le cinéaste l’emporte tout de même sur ce dernier point, ainsi que sur la préservation de l’identité musulmane du héros ; par contre, il ne peut que se conformer à l’exigence de faire un film classé ‘PG-13’ plutôt que ‘R’ (en gros, interdit aux moins de 12 ans plutôt que moins de 16), ce qui implique un changement de titre – le fameux 13è guerrier au lieu de l’original Eaters of the dead – et une limitation drastique de l’étalage de violence et de sang à l’écran. Ce qui, comme le fait remarquer ironiquement McTiernan, n’est pas chose aisée quand il s’agit de combats à l’épée…

Le documentaire évoque également le réalisme visé – et atteint – sur le tournage, en employant des décors réels et des lumières naturelles, en jouant avec les conditions météo, la manière de filmer… [Le module annexe En territoire viking fait discuter plus en détails le chef décorateur et le chef opérateur sur ces sujets]. Puis vient l’étape terrible de la postproduction, où McTiernan a eu le succès le plus amer qui soit puisque c’est au moment où triomphent les idées qu’il défendait depuis le départ – une classification ‘R’, des méchants plus impressionnants – que lui-même est éjecté par Crichton, qui mène un putsch à la suite d’une unique projection test décevante. Le 13è guerrier est alors rafistolé dans la panique, sans vision, et surtout bien trop tardivement. Deux témoignages nous éclairent sur ce gâchis : celui, neutre et à mi-chemin entre les deux belligérants, de l’acteur Vladimir Kulich qui raconte la démence de cette période et émet l’avis assez pertinent selon lequel à force de vouloir défendre à tout prix leurs positions respectives sur l’atmosphère du film, McTiernan et Crichton sont l’un comme l’autre coupables d’avoir délaissé d’autres aspects primordiaux, sur le scénario et les personnages par exemple. Leur antagonisme les a aveuglés et c’est le film qui en a pâti. McTiernan, justement, évoque lui aussi ces événements, en se montrant amer bien sûr mais en restant honnête : il sait que son montage ne diffère que de quelques minutes, et il ne clame pas qu’il y a là un chef d’œuvre en puissance. D’ailleurs, faire une director’s cut ne l’intéresse pas, comme s’il avait depuis longtemps intégré le fait que ce projet était miné depuis le départ, et qu’il n’avait jamais eu réellement la mainmise dessus. Avec les cartes qu’il avait en sa possession il en a fait le film le plus foudroyant, le plus beau, le plus farouche possible ; la dernière bataille d’un cinéma organique, d’avant la déferlante du virtuel. C’est énorme, déjà.

On retrouve McTiernan dans le troisième module inédit pour une discussion libre enregistrée chez lui, à propos de ses cinéastes et scènes cultes. Il fait preuve à propos de son art d’une érudition remarquable pour un réalisateur d’action américain, citant Kubrick – pour Barry Lindon et Dr. Folamour – autant que Godard et les italiens Bertolucci, Pasolini, Fellini.

Le dernier, et finalement meilleur, des bonus est le livret papier de 40 pages. Loin des platitudes habituellement imprimées sur ce genre de support, il renferme une enquête très documentée et argumentée du journaliste Nicolas Rioult sur l’hypothétique existence, à un moment ou à un autre de la production (scénario, tournage, montage), de cette mythique director’s cut soi-disant massacrée. Rioult traque les scènes et bouts de scènes abandonnés alors qu’ils existaient sur le papier ou dans les rushes, par une analyse méticuleuse et passionnante du scénario, des interviews d’acteurs… et aboutit à la conclusion que si la légende du 13è guerrier porte sa part de vérité, en pratique les compromis et les affrontements ont eu lieu suffisamment en amont pour qu’au moment-clé du tournage un accord soit en vigueur entre les différentes parties. Accord suffisamment fragile et pas encore assez favorable au goût de Crichton et du studio pour qu’ils le bafouent allègrement au premier accroc (la projection-test), pour le résultat que l’on sait…

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