• La guerre est déclarée, de Valérie Donzelli (France, 2011)

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Où ?

Au MK2 Quai de Seine

Quand ?

Mardi soir, en avant-première

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

La guerre est déclarée traite d’un couple dont le bébé est atteint d’une tumeur au cerveau. Une fois cette phrase lue, votre capital empathie envers les protagonistes du récit est évidemment à son maximum, et même un peu plus. L’incapable qui réussira – façon de parler – à ne pas émouvoir avec un tel matériau méritera que l’on s’attarde longuement sur son cas et sur la sévère réorientation professionnelle à lui prescrire. Il suffit en effet d’un plan, pris de quelque distance que ce soit, du nourrisson sur son lit d’hôpital à barreaux colorés emmené dans un couloir vers une opération ou un examen lourd pour que la gorge du spectateur se noue. Mais cette charge émotionnelle colossale, insoutenable presque suffit-elle à faire un film ? Non. La réalisatrice Valérie Donzelli et son très proche compère (co-scénariste, co-acteur principal, et par ailleurs co-créateur de deux enfants en commun et ex-mari) Jérémie Elkaïm le savent eux aussi, d’ailleurs. Ont-ils pour autant trouvé une bonne manière de tirer un film de ce « grand sujet » ? A mon avis, la réponse est à nouveau non. La guerre est déclarée est le deuxième long-métrage de Donzelli, après la tragi-comédie romantique La reine des pommes l’an dernier. Thématique mise à part, les deux films ont beaucoup en commun. Donzelli n’a pas réinventé son style de fond en comble entre temps, loin de là. De l’un à l’autre on retrouve la même écriture d’inspiration pop, constituée de vignettes, de collages, d’embardées qui se détournent du sujet pour le traiter autrement, le prendre à revers. Mais on retrouve aussi la même difficulté à concrétiser ces intentions en gestes convaincants. Nombreuses sont les séquences qui m’ont paru maladroites, sans souffle, et surtout en deçà du niveau d’ambition visé. Donzelli s’en remet en fin de compte le plus souvent à une même solution pour résoudre son équation à deux paramètres (sujet grave / énergie débordante) : le montage clippesque. Avec le choix de la musique comme variable d’ajustement, selon qu’elle cherche à jouer le décalage ou l’accentuation.

Cela donne une mise en scène somme toute assez pauvre, bien que cohérente avec l’intention première du film, de ne jamais se laisser happer par la force d’attraction mortifère du drame, qui ne mène qu’à l’accablement et à la douleur. La guerre est déclarée se veut en rupture totale avec cet état d’esprit auquel il est facile de se laisser aller malgré soi, et se réfugie pour y parvenir sur le versant optimiste de toute situation, aussi exigu soit-il. Ce parti pris pousse à passer à l’as tout ce qui gêne, c’est-à-dire pas mal de choses étant donné le contexte. C’est des fois défendable, ailleurs beaucoup moins ; quand le film en vient à faire l’impasse sur le malade (de moins en moins visible à mesure que son état empire), ou sur la rupture du couple annoncée en voix-off comme ayant été essentiellement provoquée par la dureté de la fameuse guerre, l’optimisme à tout crin flirte avec les faux-fuyants des feel good movies dont Hollywood nous abreuve. De plus cette volonté de Donzelli et Elkaïm, réaffirmée à longueur de répliques à l’intérieur du film (par exemple celle-ci, à un banquier mécontent : « Je pourrais vous dire ce qu’il m’arrive en ce moment, mais après vous allez vous apitoyer et ça va être gênant ») puis d’interviews en dehors, de ne transmettre au public que de la vitalité et de la conviction, et en aucun cas de l’affliction et de la compassion, ne peut pas vraiment fonctionner. On sait ce qui leur arrive, et évidemment on compatit, on est pris de terreur à l’idée que cela nous tombe dessus un jour. Nous masquer les mauvais moments, ou bien les passer en avance rapide via des montages, ne fait que donner une impression d’esquive. Le film n’en devient pas mauvais, mais inopérant, faible.

Comme est faible l’autre voie de contournement empruntée, qui est une voix, off. Par celle-ci transitent toutes les informations introspectives, et ce qui touche au ressenti des individus et des groupes. Outre la grande platitude du langage et des formulations employés (« Leurs opinions divergeaient, mais cela s’effaçait maintenant que la vie d’un enfant était en jeu » au sujet des familles des deux héros), ce qui embarrasse véritablement est l’intégration de ce procédé dans le dispositif d’ensemble de La guerre est déclarée. Une narration qui nous guide par la main dans les pensées et les sentiments des personnages, plus un sujet doublement fédérateur – le coup de tonnerre tragique inaugural, puis la pente ascendante vers une issue positive, conquise à force de courage et de pugnacité –, plus une base estampillée « histoire vraie vécue par le conteur » : c’est une recette aujourd’hui familière, que l’on retrouve à longueur d’émissions de téléréalité et de témoignages de lecteurs dans les magazines de société. Donzelli et Elkaïm la transposent à leur médium d’expression et à leur milieu social. Ils ne font que suivre l’air du temps. Les choses auraient pu être différentes s’ils étaient parvenus à couper le cordon ombilical entre eux et cette histoire, mais c’est l’inverse qui se produit. La menace du nombrilisme qui suit le film comme son ombre en permanence, étant donné que Donzelli et Elkaïm rejouent des années de leur vie (les parents, c’était eux, le bébé malade, c’était leur fils aîné), se cristallise définitivement dans la dernière séquence où l’enfant de fiction, devenu plus grand, est interprété par l’enfant réel du couple. Parler de soi pour toucher tous les autres n’est pas le souci en soi – un exemple parmi cent autres : Nanni Moretti – ; c’est le faire mal qui pose problème sur le plan cinématographique. Comme par exemple dans cette dernière séquence de La guerre est déclarée, avec son chromo au ralenti façon pub pour assurances-vie, tout ce qu’il y a de plus convenu et cousin de la fin ratée de L’étrange histoire de Benjamin Button.

Une chose très positive est tout de même à relever dans le film : son ode à l’hôpital public, et au principe de la garantie de soins sans condition de ressources financières. Elle se fait de la manière la plus discrète qui soit, mais tire justement de cela sa force. Il n’y a jamais de mauvais suspense autour du possible manque d’abnégation des médecins et autres à faire tout ce qui est en leur pouvoir, ou d’un éventuel arrêt brutal et injuste des traitements parce que les revenus ne suivent pas. Sans jamais se lancer dans un sermon explicite sur le sujet, La guerre est déclarée crie silencieusement son soulagement que les choses fonctionnent de la sorte. Et rend évident qu’il s’agit là d’un trésor à préserver à l’aune de son importance et de sa vulnérabilité.

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