• La bataille de Solférino, de Justine Triet (France, 2013)

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Quand ?

Un jeudi soir début juillet, dans le cadre de la compétition de Paris Cinéma où il a remporté le Prix du public (le film sort en salles le 18 septembre)

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

De la même manière que l’on peut faire un blocage sur la voix du chanteur ou de la chanteuse d’un groupe, et pour cette raison se retrouver incapable de profiter du talent effectivement déployé dans leurs chansons, mon appréciation de La bataille de Solférino bute – essentiellement – sur l’écueil du numéro d’acteur de Vincent Macaigne. Au détour du récent dossier consacré par Les Cahiers du Cinéma aux acteurs, apparaît l’expression « machines de guerre » pour qualifier la présence écrasante d’une certaine catégorie de comédiens, à laquelle Macaigne appartient sans nul doute. Le problème ne vient pas exclusivement de lui ; je le sais pour l’avoir revu peu de temps après, dans La fille du 14 juillet, où sa performance lunaire m’a autant réjoui que tout le reste dans ce film. L’accroc dans la belle toile de La bataille de Solférino est de nature circonstancielle, tenant à l’imparfaite adéquation entre Macaigne et le film, ses autres interprètes, sa tonalité. La réalisatrice Justine Triet ne le « tient » pas assez et, dans la seconde moitié, quand les conditions vont tourner en sa faveur, l’ogre théâtral qu’il est fera un festin de ses petits camarades et du film, qu’il mangera tout crus en se pourléchant les babines. La bataille de Solférino et La fille du 14 juillet ont toutefois un autre point commun, de valeur celui-là : une même volonté impétueuse de sortir le cinéma de son confort, de le faire prendre place en plein cœur de la vie de la cité.

La fille du 14 juillet commence le jour du défilé national(iste), au milieu des chars ; La bataille de Solférino fait plus fort et plus fou encore en se déroulant tout entier le jour, et la nuit, de la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle. Triet pousse la hardiesse jusqu’à repousser cette information à la fin de sa longue première séquence. Toutes les autres données du film nous sont exposées avant celle-ci, les identités des personnages, les raisons de leurs conflits, les clés du déroulement de la « bataille » à venir. Alors seulement la cinéaste opère-t-elle un zoom arrière nous révélant le terrain servant de toile de fond aux hostilités, juste avant que celles-ci n’éclatent avec une magnitude inouïe. Laetitia et Vincent, les deux personnages centraux, sont divorcés et se partagent la garde de leurs deux enfants en bas-âge. Vincent a un droit de visite les week-ends, il n’est pas venu et n’a pas prévenu le samedi, mais veut avoir ses enfants avec lui ce dimanche 6 mai 2012 où il se présente à l’improviste chez Laetitia ; Laetitia refuse catégoriquement, obstinément, car le manquement de Vincent à ses engagements de la veille lui reste en travers de la gorge – pour elle c’était tout le week-end ou rien. Savoir qui des deux a raison et qui a tort, en somme tenter de rendre la justice, sera l’affaire du deuxième temps (moins réussi) du film. Avant cela, La bataille de Solférino fait la police et y excelle.

Les attaques, esquives et contre-attaques que Laetitia et Vincent s’échangent prennent la forme d’actions et non de réflexions. Ce transfert du nœud dramatique de l’histoire sur un plan physique, plutôt qu’intellectuel, fournit la base d’un thriller hitchcockien de premier choix, que deux idées superbes viennent encore renforcer. D’une part, l’élargissement du champ de bataille et de poursuites à l’échelle d’un Paris aux rues noires de monde, de Solférino à la Bastille ; de l’autre, le fait que l’affrontement a pour enjeu deux enfants, physiquement présents. On a affaire là au contraire d’un MacGuffin abstrait ou divertissant, et à une tragédie humaine particulièrement déchirante. L’incorporation de ces deux infiniment grands, géographique et dramatique, emporte La bataille de Solférino très haut pendant sa première heure – d’autant plus haut que Triet se montre au niveau des cartes qu’elle a en main. L’amalgame du réel et de la fiction prend aussi bien dans la matière du film que sur sa forme, grâce à la mise en scène tendue, ample, variée (le traitement du climax imposé qu’est la révélation du nom du vainqueur et l’explosion qui s’en suit est extraordinaire). Et les choix de casting consolident les lignes de force de l’intrigue : la vulnérabilité et l’anxiété dégagées par Laetitia Dosch se heurtent de plein fouet à la présence et la puissance d’ogre de Vincent Macaigne.

Tant qu’ils sont à l’extérieur, comme dans un conte la petite souris futée peut échapper au grand ours gauche en se servant des éléments de la ville, de la foule pour équilibrer le combat. Cet équilibre vole en éclats en même temps que ce qui fait la spécificité de La bataille de Solférino, dès lors que ce dernier s’enferme trop nettement, trop longuement dans l’appartement de Laetitia. Ce repli physique est aussi thématique : soudain il ne s’agit plus que d’un simple drame en chambre, dans les clous, où l’on se crie très fort ses quatre vérités sur les raisons d’un foyer brisé. Les circonstances ayant tourné en sa faveur, l’ours ne fait alors qu’une bouchée de la souris ainsi que des autres personnages ayant le malheur de se trouver là. Le problème est que cette victoire ne signe pas seulement l’affaiblissement mais une certaine défaite du film car, comme exposé au début de cette critique, Vincent Macaigne transforme cet acte en slasher à acteurs. Comédien exubérant doté d’un rôle excessif, face à des interprètes mesurés de personnages ordinaires, il devient un soliste encombrant. Il n’est pas dans le même long-métrage que les autres, une dissonance qui peut fonctionner dans la comédie ou la peur mais pas dans le cadre dramatique réaliste que Justine Triet fixe en cette seconde moitié de La bataille de Solférino.

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