• Jurassic Park en partant de la fin

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jp-1Où ?

A la maison, en DVD zone 2 (le coffret regroupant l’intégrale de la série, sorti très discrètement il y a quelques années)

Quand ?

Mi-décembre

Avec qui ?

Ma femme pour le premier film, seul pour les deux autres

Et alors ?

 

Jurassic park 3, dernier (?) volet de la série, ramène celle-ci à ce qui a toujours été son moteur véritable mais camouflé : cette frange « bis » ans scrupules ni
prétentions du cinéma hollywoodien des années 50-70, remplie d’extraterrestres ou de… dinosaures. À l’opposé de ce que les deux premiers volets tentaient de mettre en place, avec des fortunes
très diverses comme la suite de cet article le montrera, il n’y a ici pas de scénario, pas de psychologie, presque pas d’enjeux. C’est assurément une limite, et c’est dû pour une bonne part à des
aléas de tournage non désirés (qui ont conduit, en gros, à jeter à la poubelle dès les premiers jours le scénario prévu) ; mais cela a le mérite de la simplicité quant au but poursuivi – des
dinos, des dinos, et encore des dinos.

 

jp-1àDans ce contexte caricatural, difforme, l’essoufflement manifeste
de la saga – entre deux scènes d’action les humains ressortent des répliques photocopiées des volets précédents et délavées à force d’être utilisées – devient presque un atout. Il s’intègre
naturellement au grotesque du film, à son élan de fuite en avant échappant à tout contrôle. L’obligation contractuelle de proposer de la nouveauté à chaque épisode fait que les dinosaures n’ont
en eux plus rien du réalisme porté en bandoulière par l’œuvre inaugurale. Le roi T-Rex fait face à un nouvel invité, le Spinosaurus, plus grand et plus fort que lui ; les autres espèces sont de
plus en plus dotées de capacités humanoïdes (raisonnement, embryon de langage, motivations…) ; et tous se retrouvent presque lookés à force de couleurs esthétiques et d’allures profilées.
Jurassic Park 3 ne ressemble plus à grand-chose, si ce n’est à un geste pop art de désintégration d’un filon par une simple exacerbation radicale de ses caractéristiques
les moins flatteuses.

 

Sans aller jusqu’à en faire un descendant d’Andy Warhol, le réalisateur Joe Johnston était l’homme qu’il fallait pour tenir le rôle de chef d’orchestre de cette cacophonie je-m’en-foutiste. Elle
fait de Jurassic Park 3 un décalque de son Jumanji – avec des dinosaures à la place du bestiaire de la jungle. Et l’on redécouvre ainsi que Johnston est
parfaitement à l’aise dans les scènes d’action haletantes et grandiloquentes (la longue partie – la meilleure – dans la serre des ptéranodons, pour laquelle ont été piochées dans un même tour de
jeu les cartes « volatiles géants et très hostiles », « canyon avec pont suspendu » et « conditions météo exécrables »), ainsi que dans l’humour débile (le gag idiot
du téléphone portable) et dans son pendant mordant. La vraie-fausse réunion des deux groupes de personnages, de part et d’autre d’une immense clôture et avec un Spinosaurus à leurs trousses, est
entre autres exemples une franche réussite de sadisme gratuit d’un cinéaste à l’encontre de ses héros.

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Et puisqu’un bon film de série B déviante n’est pas complet sans sa jolie fille, Jurassic Park 3 a sa – très – jolie fille en la personne de la trop rare Téa Leoni.

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Un tel visionnage à reculons fait apparaître comme une évidence que Le monde perdu (le titre officiel de Jurassic Park 2) n’est rien d’autre qu’une version ratée du 3 –
et, plus globalement, est une version ratée d’une série B décomplexée, précisément car elle est complexée. Steven Spielberg a pourtant lui aussi sa jolie fille, encore plus jolie que Téa
Leoni : Julianne Moore, la plus belle rousse du septième art. Il a aussi une excellente scène d’ouverture, parfaite pour assouvir ses penchants refoulés de réalisateur pervers aimant torturer ses
personnages, et par ricochet son public. C’est l’histoire d’une mignonne petite fille en robe d’été que ses parents laissent flâner sur une plage déserte, et qui se fait attaquer par une bande de
mini-dinosaures voraces. En prime, jusqu’au bout de la scène Spielberg laisse planer le doute quant à savoir s’il va ou non oser le contrechamp interdit, le plan craint entre tous : celui qui
montrerait explicitement l’état de la fillette dévorée.

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Et puis, le trou noir. Le monde perdu s’échine à mettre en place un scénario tiré par les cheveux dont chaque nouvel élément, chaque nouvel embranchement est plus laborieux que
les précédents et aggrave l’affaissement de la structure toute entière. Il faut attendre vingt minutes avant le départ pour l’île aux dinosaures, quarante minutes avant la première étincelle
d’action, et presque une heure pleine avant que le film daigne fournir ce pourquoi on se trouve devant l’écran… et cela aurait pu être pire : les scènes coupées du DVD nous montrent que l »on a
échappé à six minutes et demie supplémentaires, réparties en deux autres séquences introductives soporifiques ! Le monde perdu est tellement aux abois et conscient de son
non-rythme qu’il s’abaisse au cynisme de s’afficher comme un tract (assez éculé en prime) anti-safari d’animaux sauvages, tout en suivant avec un entrain non entravé les instigateurs d’un tel
safari car ils sont en mesure de fournir une poignée de scènes un tant soit peu vivantes. En fin de course, le scénario se montrera à nouveau tellement à court d’idées qu’il en sera réduit à
démarrer un récit entièrement nouveau dans son dernier quart d’heure, sur le thème « Un T-Rex à San Diego ». C’est forcément trop court pour avoir une quelconque chance de convaincre,
sans même parler de satisfaire, et la séquence ne représente finalement rien de plus qu’un avant-goût de ce que saura proposer avec plus de constance le troisième volet.

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Les hostilités ne dureront concrètement qu’à peine une demi-heure – le film ne pourrait pas mieux exprimer sa répugnance à repartir pour un tour en compagnie des dinosaures. Même dans cette
partie, on doit subir le scénario sorti sans retouche d’un des logiciels d’écriture automatique qui sont assurément exploités dans les sous-sols des studios hollywoodiens. Pages paires,
l’insupportable intrigue familiale de boulevard (mi – « madame porte la culotte » et mi – « mon enfant adoptif, d’une couleur de peau différente de la mienne, s’est embarqué en
cachette avec moi ») ; pages impaires, les blagues avariées qui voudraient ponctuer les scènes mais ne font que les écorcher comme autant de coups du couteau de
Psychose. Ces tentatives d’humour s’immiscent jusque dans les deux seules scènes du Monde perdu s’approchant du qualificatif de « réussies » : un camion
suspendu au-dessus d’une falaise, prêt à tomber, avec les trois héros piégés dedans ; et l’assaut groupé des raptors. Ceux qui ont de la mémoire se rendront compte qu’il n’y a pas de quoi
pavoiser pour autant, ces séquences n’étant que des resucées de grands moments de Jurassic Park premier du nom.

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Dans chacune de ces scènes, Spielberg sort de sa léthargie pour insuffler un minimum d’élan à la séquence. En particulier, il se fend d’un plan objectivement génial à chaque fois – la
contre-plongée selon un axe entièrement vertical sur Julianne Moore s’écrasant sur la vitre arrière de camion (laquelle commence alors à se fissurer), et à l’inverse une plongée sur un champ de
hautes herbes où les traces des raptors s’approchent de celles des hommes avant que ces derniers se mettent à disparaître un à un. Mais en dehors de ces deux plans, le cinéaste fait clairement
n’importe quoi. Son film ne pèche pas par excès de sensiblerie et de bonnes intentions morales, comme c’est le cas pour Amistad ou La liste de Schindler ; il est mauvais sur le cœur de métier de
Spielberg, ce qui a fait sa gloire et sa fortune, l’entertainment. Comme il s’agit d’une chose qui, comme le vélo, ne s’oublie pas, le verdict pour ce Monde perdu est
identique à celui sanctionnant le dernier Spielberg en date, Indiana
Jones 4
: l’accusé est reconnu coupable de sabotage conscient d’une suite de blockbuster.

 

Le réalisateur en a de toute évidence marre de Jurassic Park mais, plutôt que de refuser le projet d’en tirer un nouvel épisode, il l’accepte et le transforme en bouillie. Les raisons
qui peuvent pousser à adopter une telle attitude sont obscures ; mais le double fait que Spielberg a déjà tout accompli, et qu’il est capable de mettre en boîte des films très vite (cf.
l’époustouflant enchaînement A.I.Minority reportArrête-moi si tu peux en un an et demi) lui laissent assurément une bonne marge de manœuvre
pour s’offrir ce genre de plaisir (très) coupable.

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Dans la dernière ligne droite de ce triple visionnage inversé arrive enfin le soulagement. Le premier Jurassic Park est le seul à réellement mériter que l’on s’y attarde. Il
possède tout ce qu’il faut pour cela : un cadre, des personnages, une intrigue, une thématique sous-jacente, et un metteur en scène enthousiaste et talentueux pour accommoder le tout.
L’ambition démesurée de Spielberg, qui fait de lui un de ces meneurs qui ont fait (et font) avancer le septième art, se voit au fait qu’il a reporté son désir de réaliser un King Kong
sur le projet Jurassic Park ; ainsi, au lieu de livrer un simple remake divertissant et rentable, il a redéfini les frontières du cinéma d’aventure. Le public a réagi en
conséquence, permettant au film d’atteindre des records de recettes stratosphériques pour l’époque et qui en font aujourd’hui encore le seul film du vingtième siècle avec Titanic à se maintenir tout en haut des classements de
box-office américain et mondial.

 

Ce qui frappe lorsque l’on revoit Jurassic Park plusieurs années après, une fois toutes les traces de la surexcitation initiale évacuées par l’organisme, est que les dinosaures
n’y sont – presque – que la cerise sur le gâteau. Quant à l’emploi des CGI (images de synthèse conçues par ordinateur) pour leur donner vie, qui était l’argument de vente n°1 lors de la
sortie en salles, il n’est que l’enrobage en chocolat de la dite cerise : la scène culte du film, l’attaque du T-Rex sur les voitures
bloquées en pleine tempête tropicale nocturne, a ainsi été accomplie pour moitié avec des marionnettes à l’ancienne, fabriquées et commandées par l’équipe du génie du genre Stan Winston. Et même
si l’on a du mal à en croire ses yeux en lisant le time-code du lecteur DVD, cette séquence monstre n’arrive bel et bien qu’après le passage de la mi-film.

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La première heure de Jurassic Park fonctionne presque exclusivement sur l’alimentation de la fascination béate et ravie de nous, le public, pour l’existence sur écran de
dinosaures grandeur nature et crédibles. L’apparition du brontosaure, le regroupement général au chevet du tricératops malade sont ainsi traités par la mise en scène avec tous les égards dus à
leur qualité de morceaux de bravoure visuels. Dans cette optique, le concept du parc d’attractions est idéal car il permet de faire progresser de front, sans pesanteur apparente, cette voie
orientée vers le passé immédiat (nous expliquer tout ce qui a permis au point de départ du scénario d’exister, en particulier la technologie génétique de fabrication des dinosaures qui est en soi
une chose spectaculaire, quasi magique) et une autre tournée vers le futur proche. Les problèmes de conception et de philosophie du parc qui vont mener à la catastrophe, au déclenchement de
l’intrigue à proprement parler, se voient naturellement intégrés à l’univers du film, permettant une transition exemplaire entre la flânerie heureuse du début et les calamités en série de la
suite – chose qu’Avatar, pour prendre un exemple tout récent, ne parvient pas à faire sans donner l’impression de greffer artificiellement une histoire sur une
autre quand vient le moment de changer de braquet.

 

Chaque situation de danger est une leçon de mise en scène au service de son propre suspense plutôt qu’à celui des personnages (qui sont développés au strict minimum nécessaire pour servir
l’efficacité du film sans rien de superflu, même chez les enfants – chose tellement rare à Hollywood) ou des effets spéciaux. Que ces derniers aient été encore balbutiants et complexes à l’époque
a peut-être aidé à maintenir cette ligne de conduite : Spielberg et ses petits génies d’ILM ont été obligés de réellement réfléchir en amont aux plans en CGI qu’ils voulaient, et de
trouver un intérêt évident à chacun. On y gagne des scènes faisant grimper très haut le stress sans aucune créature à l’horizon (toute la partie sur la remise sous tension du parc), ou bien
uniquement des surgissements surprenants et furtifs, le plus souvent du T-Rex.

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Quant aux deux séquences impliquant massivement le recours aux images de synthèse, l’attaque du T-Rex puis le cache-cache mortel avec les raptors dans la cuisine, leur réussite souveraine se
mesure à l’aune de leur pauvreté en dialogues, respectant la règle qui veut que toute vraie grande scène de cinéma d’action et/ou de suspense est le plus possible muette. Jurassic
Park
fait émerger la terreur absolue de son concept – être seul et désarmé face à l’ennemi mortel qu’est un dinosaure – par l’absence complète de psychologisation abusive des situations.
Bien sûr, le don de Spielberg pour trouver des axes de caméra qui ne se contentent pas de soutenir une idée mais l’améliorent (la vue de sous le toit de la voiture quand le T-Rex l’écrase ; le
fameux plan du rétroviseur ; le reflet de la petite fille dans un des placards de la cuisine… on pourrait continuer longtemps) joue un rôle majeur dans la réussite de ce grand huit époustouflant
et haut de gamme. Bien que celui-ci se suffise à lui-même, le fait qu’il soit appuyé en sous-main par une démonstration filée de la pertinence de la citation intemporelle « science sans
conscience n’est que ruine de l’âme », sur le thème tout à fait d’actualité qu’est la génétique, est un atout supplémentaire. Jurassic Park nous fait habilement passer de
l’émerveillement originel à l’égard de cette discipline scientifique à une attitude plus mesurée, plus raisonnée. Cela se fait par le biais de l’exemple distrayant d’une course-poursuite avec des
gros dinosaures, mais l’avertissement quant à des usages plus proches de nous de la génétique est tout de même suffisamment transparent.

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En ce qui concerne les bonus, Jurassic Park n°1 est sans surprise le seul des trois à proposer des suppléments intéressants, qui ne soient pas uniquement consacrés à la technique
pure (on retiendra tout de même dans le making-of du Monde perdu la présentation des deux T-Rex mécaniques de huit tonnes chacun, tellement massifs que les décors sont construits
ou déplacés autour d’eux). Un cas exemplaire de bonus digne d’intérêt est la réunion de pré-production réunissant Spielberg et les responsables des différents services techniques, où le premier
donne aux seconds des orientations motivées par un souci de qualité cinématographique et non par un simple souci de magnificence technologique. On trouve également sur le DVD du premier épisode
des petits modules sympathiques (vidéos de repérages, prévisualisation de la séquence des raptors en animation image par image avec des marionnettes – sous cette forme, la scène est déjà
extrêmement puissante), et surtout un assez long making-of. Par la force des choses, celui-ci s’est vu cannibalisé par les prouesses successives des images de synthèse. Elles qui n’étaient même
pas prévues au commencement du projet se sont incrustées en cours de pré-production, puis ont démontré de tels progrès rien que sur la durée du tournage qu’elles ont fini par être utilisées dans
un nombre considérable de situations – des nouvelles scènes avec des dinosaures écrites sur le pouce, des plans d’appoint dans des scènes élaborées de longue date (l’écrasement de la voiture par
le T-Rex)… A travers ce making-of, de fait historique, c’est à la prise de pouvoir effective des CGI dans le cinéma que l’on assiste.

 

2 réponses à “Jurassic Park en partant de la fin”

  1. Bruce Wayne dit :

    Je sais que c’est une habitude sur ce blog, mais cet article est particulièrement passionnant.

  2. <a href="http://cine-partout-tout dit :

    Merci Bruce moi aussi j’aime beaucoup ce que vous faites, à Gotham City !