• Joey vs. Chandler, quinze ans plus tard

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Ou plus exactement, Matt LeBlanc vs. Matthew Perry. Qui l’un comme l’autre, après une poignée de navets cinématographiques (le lot de 99% des stars d’un jour du petit écran) et une décennie de traversée du désert, reviennent à la sitcom télévisuelle pour tenter de raccrocher le wagon du succès. Meilleurs amis et colocataires dans Friends, les voici rivaux sur des chaînes différentes dans Episodes et Mr. Sunshine. L’un a été clairement plus ambitieux que l’autre : Perry / Chandler, co-créateur de sa sitcom ensoleillée, tandis que LeBlanc / Joey laisse une nouvelle fois les commandes à David Crane, l’un des cerveaux de Friends et désormais de Episodes. Bien lui en a pris, car partant comme outsider sur la ligne de départ il s’impose au final comme le grand gagnant du duel des comebacks.

A vrai dire, il n’y a quasiment pas de match. Episodes est aussi moderne et exaltante que Mr. Sunshine est périmée et atone. On va d’ailleurs expédier le cas de la seconde sans s’étendre. Il y est question des journées et soirées de travail, remplies évidemment de déboires en tous genres, du responsable d’une grande salle de concerts / spectacles / sports, l’équivalent de Bercy. Perry interprète ce rôle pivot, autour duquel gravite tout un ensemble de collègues, subalternes ou supérieurs hiérarchiques – la propriétaire de la salle, jouée par Allison Janney (Away we go, Juno) et seul personnage véritablement réussi car façonné d’un seul tenant. Elle est résolument foldingue, égocentrique et totalement déconnectée des soucis concrets du quotidien. Le contraste entre elle et le reste de la série rend encore plus frappants les compromis sans fin dans lesquels tous les personnages et éléments de Mr. Sunshine s’enlisent. Entre cynisme mordant et bonne pâte candide, exposition de rivalités délétères et description d’un groupe soudé, la série ne sait où se situer. Ce qui laisse un boulevard aux vices de forme pour prospérer et se rendre évidents : rythme brisé par la volonté de rendre tous les protagonistes importants, ambiance étouffante à force de ne jamais sortir de ce lieu grand mais unique… Mr. Sunshine fait peine à voir à ignorer de la sorte les bouleversements qui ont secoué ces dernières années le genre dans lequel il s’inscrit. Elle souffre essentiellement de la comparaison avec The office, qui sur une base similaire (les relations de travail) la ridiculise semaine après semaine par son inspiration comique et sa liberté formelle, alors qu’elle est dans sa septième année.

Verve comique et évasion formelle sont des atouts qu’Episodes a eu la bonne idée de développer elle aussi. Ce qui lui permet d’atteindre un degré de qualité largement au-delà du potentiel affiché à première vue par son concept. Un duo d’auteurs anglais débauché par Hollywood pour y diriger le remake de leur sitcom multi-récompensée, c’est la promesse de voir s’étaler à l’écran les ressorts comiques de moins en moins frais et excitants que sont ceux des frictions entre vision artistique et logique industrielle, mœurs anglaises et coutumes américaines, artificialité de Beverly Hills et réalité du monde extérieur. Avec donc, en prime, LeBlanc dans le rôle rebattu de la star se jouant (d’)elle-même, entre autodérision et introspection. Episodes est une pièce à conviction de taille à porter au dossier de la défense de la cause selon laquelle ce ne sont pas les ingrédients qui comptent, mais ce que l’on en fait. L’écriture de David Crane et de son équipe est en effet assez brillante pour tirer le meilleur de chaque situation et chaque caractère. Au rayon des gags, ils profitent de la diffusion sur une chaîne câblée (Showtime) pour adopter un ton résolument frondeur et amoral, sans qu’aucune limite quant à ce qui est acceptable d’oser dire ou montrer se manifeste. Episodes fait son miel de toutes les bonnes et mauvaises raisons de railler ses personnages – leurs tares profondes et la futilité du vernis dont ils les recouvrent, leurs relations de pouvoir délétères, leurs pulsions sexuelles – avec une voracité et une franchise qui rappellent le fleuron de la chaîne, Weeds. Les deux séries partagent également, dans leur déroulement à l’échelle d’une saison entière, un même talent pour l’emballement de l’engrenage comique, incontrôlable et menant droit à la catastrophe, explosive et où le rire devient encore plus jaune.

Crane & Co. se montrent également très doués pour opérer une distinction claire entre les rôles auxiliaires à usage uniquement comique (les responsables et employés du studio, à tous les échelons) et les protagonistes de premier plan, dont l’individualité va faire l’objet d’un parcours étayé. Chacune des pointes du triangle formé par Sean et Beverly, les auteurs trahis par la machine hollywoodienne, et LeBlanc (imposé comme star du remake bien que ne correspondant pas du tout au rôle, ce qui conduit à … changer le rôle), bénéficie au cours de la saison de plages réservées où leur individualité se voit révélée et enrichie. On découvre leurs failles et on se surprend à les trouver attachants, en particulier LeBlanc qui, de figure la plus stéréotypée a priori, s’avère le plus riche en contradictions et angles d’approche. L’épisode qui est consacré plus spécifiquement à son personnage, et à son divorce, est un cas d’espèce d’écriture taillée à la quasi-perfection, prenant à revers les attentes du spectateur. La mise en situation du récit joue également un rôle non négligeable ; ces décalages fréquents et opportuns dans l’intrigue s’accompagnent tous de changements de lieux qui en décuplent l’effet. C’est tout Los Angeles (et même au-delà) qui est le terrain de jeu potentiel d’Episodes, ce qui ouvre grand les portes à la créativité.

Seul bémol dans tout ça : le dernier des sept épisodes de la première saison stoppe le mouvement d’expansion de la série, en se repliant sur un canevas basique de vaudeville adultère. On rit toujours, mais un peu moins fort. C’est un premier avertissement, à peu de frais, des périls qui peuvent menacer la réussite d’Episodes.

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