• Faust, d’Alexandr Sokourov (Russie, 2011)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg

Quand ?

Mardi soir, à 21h

Avec qui ?

MonFrère, sa copine et deux amis

Et alors ?

Faust arrive à point nommé, dans la foulée du Festival de Cannes, pour prolonger le débat virulent amorcé à cette occasion autour de la dérive inflationniste du cinéma d’auteur. L’inflation prend deux formes : celle du nombre d’autoproclamés grands auteurs, et celle de l’éminence à laquelle ils prétendent tous. Une phrase en forme de sentence du président du jury cannois Nanni Moretti a si bien résumé l’affaire qu’elle a fait le tour de la planète ciné : « de nombreux réalisateurs étaient plus amoureux de leur style que de leurs personnages ». Évidemment, chacun s’est approprié la remarque pour en faire le support de sa liste personnelle de « bons » et de « mauvais » auteurs. Mais si on le considère en prenant le recul nécessaire, le jugement de Moretti est au-dessus de la mêlée car il nous donne la clé pour comprendre ce qui fait que toutes ces listes sont équivalentes, et s’annulent les unes les autres. Le fait est qu’à partir du moment où le style prévaut, qu’il s’impose comme l’alpha et oméga quasi hégémonique d’œuvres où enjeux, personnages, dramaturgie sont relégués au rang de supplétifs, l’appréciation de la valeur du film en appelle essentiellement à la subjectivité de chacun. Plutôt que de faire appel à nos émotions, nos réactions, notre pensée, ces auteurs-gourous aspirent uniquement à nous enrôler dans les rangs de leurs zélateurs. L’examen des films n’a alors plus grand-chose à voir avec un jugement critique, mais se trouve transformé en une foire d’empoigne, au cours de laquelle chaque gourou est porté aux nues comme créateur de chef d’œuvre par ses apôtres, et vomi par les autres : Reygadas, Seidl, Audiard, Mungiu, Carax, etc., se sont ainsi succédés au quotidien à Cannes.

Alexandr Sokourov (qui lui était au dernier Festival de Venise, dont il est reparti avec le Lion d’Or) est fait du même métal, de la même vanité. Son Faust est riche en talent et en intelligence, mais mis au service d’une posture qui personnellement m’insupporte. Le film est pensé pour provoquer et cliver, par principe plus que dans le but de servir – quoi que ce soit, un propos, une opinion, une cause. C’est un cas d’école d’art moderne radical/ridicule, enfanté par un esprit brillant qui focalise ses facultés créatrices et esthétiques sur l’ornement de son nombril, et attend ensuite des spectateurs qu’ils soient confondus d’admiration devant cette prouesse égocentrique. La couleur est annoncée d’entrée, avec la scène de présentation de Faust s’ouvrant sur le gros plan du pénis rabougri d’un cadavre que lui et son assistant sont en train de charcuter à des fins scientifiques. Geste de provoc « artistique » indue, poseuse, qui en appelle quantité d’autres à tous les étages du film ; pour ne citer que les deux principaux, les anamorphoses de l’image survenant aléatoirement et l’étalonnage en mutation permanente. Sûrement y avait-il quelque chose d’intéressant à tirer de l’un et l’autre – il m’est arrivé de l’envisager à quelques occasions, au cours de ce qui a globalement été un calvaire dont je suis ressorti asséché, la faute au martelage abusif et auto-complaisant pratiqué par Sokourov. Si encore celui-ci était dans la cabine de projection, à manipuler pendant la séance la surface visuelle de son œuvre pour aboutir chaque fois à un rendu différent, il y aurait un intérêt potentiel à faire l’expérience d’une telle performance en direct ; mais là, nous nous retrouvons totalement passifs, mis devant le fait accompli de triturations masturbatoires qui sont loin d’apporter assez de sens au regard de leur ostentation.

Comme c’est fréquemment le cas dans de tels longs-métrages bouffis d’orgueil, le thème de ce Faust dévié et déviant est pourtant de nature à servir de colonne vertébrale à un vrai grand film. Faust tel que le conçoit Sokourov figure une humanité qui, parce qu’elle s’est débarrassée de Dieu et a atteint un degré de compréhension scientifique relativement élevé, s’imagine en nouvelle divinité toute-puissante que rien, pas même le diable, ne peut entraver. Cette perception l’emmène tout droit à la catastrophe. Tristement, au lieu de se positionner en porte-à-faux Sokourov reproduit la même faute majeure dans son domaine personnel. Parce qu’il a une poignée de bonnes idées formelles, et assez de capacités pour réécrire le texte de Goethe comme il l’entend (un élément qui passera au-dessus de la tête de l’immense majorité des gens mais fait se pâmer les quelques initiés), il se croit légitime à s’afficher comme un être supérieur, un titan pouvant nous écraser et nous étouffer sans limite. Son film tourne au cours magistral délirant de suffisance, là où un dialogue approfondissant effectivement le sujet aurait été plus digeste, plus riche, plus universel.

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