• Equus, de Sidney Lumet (Royaume-Uni, 1977)

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Où ?

A la maison en Blu-Ray édité par Outplay (sortie le 5 septembre 2017) et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Entre Noël et le Nouvel An

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

En 1977, Sidney Lumet sort d’une série de films majeurs tournés aux USA et entrés dans la grande histoire du cinéma : Serpico, Une après-midi de chien, Network. Comme à plusieurs autres occasions au cours de sa longue carrière (presque cinquante longs-métrages en cinquante ans), Lumet effectue alors un virage imprévu en prenant le chemin de l’Angleterre pour y mettre en scène l’adaptation d’une pièce de théâtre, créée à Londres par Peter Shaffer. Les deux comédiens principaux, Peter Firth et Richard Burton, reprennent devant la caméra les rôles qu’ils tenaient sur scène – respectivement Alan, un adolescent interné après qu’il a crevé les yeux de six chevaux, et Martin, le psychiatre chargé de son cas.

La reconstitution par Martin du parcours ayant mené à l’acte horrible d’Alan (qui viendra clore le film dans une séquence dont la sauvagerie perpétrée par le personnage et redoublée par la mise en scène de Lumet rappelle la scène de la douche de Psychose) sert de trame à un récit fouillant la psyché humaine et creusant les interrogations fondamentales qui l’alimentent. Il est question dans Equus de nos passions (tristes ou ardentes), des mythes qui les fondent et des religions que l’on échafaude autour d’eux. Le texte de Shaffer a l’intelligence de révéler comment ce terme de religion est malléable et ouvert, bien au-delà des seuls monothéismes. En plus du catholicisme, le film voit la psychiatrie, le sexe, le « dieu-cheval » qui lui donne son titre devenir des passions sur la base desquelles les êtres composent des pratiques religieuses. Ce qui relie tous les humains est l’impossibilité de se passer d’une religion, et donc le besoin de s’en créer une même malgré soi ; et ce qui les sépare, les fait tragiquement s’affronter même, est l’impossibilité que deux religions cohabitent sans rivaliser et se combattre frontalement (ce qui mènera Alan à sa perte).

Au sein de l’esprit d’Alan, trop jeune pour soutenir une telle joute, s’opposent la religion catholique que lui impose sa mère, l’adoration d’Equus, l’éveil contrarié du désir sexuel. À l’échelle du film, ce qui vient faire obstacle à Equus est la psychiatrie, religion qui s’affiche comme dépassionnée et en mesure de soumettre toutes les autres. La première opposition est remarquable, aussi fine que puissante ; la seconde est moins convaincante, trop lourde dans ses intentions et son exécution. Telle qu’elle est construite autour de Martin, sous la forme d’une enquête morcelée par des dialogues et monologues exposant les états d’âme du personnage, la narration jugule la passion que le film allume par ailleurs – soit précisément le mal que Martin se désespère in fine d’avoir infligé à Alan… Equus se tire ainsi une balle dans le pied en menant le procès à charge de la psychiatrie, sans faire œuvre artistique autour de cette intention. Le risque du théâtre filmé devient dans ces scènes une réalité – le théâtre d’un tribunal où un procureur déroule linéairement son réquisitoire.

Au contraire, on ne perçoit pas une once de théâtre filmé dans les séquences suivant l’histoire du jeune Alan. Le transfert de celui-ci depuis le culte catholique vers la passion équine pave la voie à un mouvement semblable au niveau du film : la relation inventée entre Alan et son dieu-cheval ouvre une brèche par laquelle Equus peut dépeindre de manière oblique, exacerbée – artistique, en somme, la multiplicité de facettes du rapport qu’entretiennent les hommes avec leurs mythes et folies. Par une succession de scènes intenses jalonnant le parcours de son héros jusqu’au drame final, Lumet nous fait autant ressentir l’aliénation que la libération que cause l’attachement passionné à une croyance allant au-delà de l’expérience rationnelle de soi-même et de son environnement. Auprès d’Alan bien plus que de Martin, on saisit ce qui a captivé le cinéaste dans ce projet, et qu’il parvient si bien à retranscrire à l’écran.

Dans Equus comme partout ailleurs dans sa filmographie, il n’y a pas de bonne réponse, de camp qui a raison contre ceux qui ont tort : tout le monde peine et souffre. Car la norme, et la morne surface des choses, nous rend mentalement malades ; mais les êtres plus malades, les plus proches du vrai et de l’absolu, s’y brûlent les ailes et l’âme, ce qui pousse le reste d’entre nous à rebrousser chemin vers cette norme qui nous accable pourtant. La norme engendre la folie qui repousse vers la norme : ce mouvement perpétuel qui nous tourmente n’a jamais été exposé aussi littéralement par Lumet qu’ici.

En plus d’un module en forme de parole à la défense (« L’œil du psy », qui analyse le film depuis ce point de vue), les suppléments de cette édition Blu-Ray et DVD contiennent un entretien de trois-quarts d’heure avec Jean-Baptiste Thoret, lequel nous gratifie d’une rétrospective exhaustive de la carrière de Sidney Lumet et d’une analyse fouillée d’Equus en regard de ses autres films. Ce bonus est le parfait prolongement du film, en dressant le portrait d’un cinéaste intelligent qui nous a toujours fait réfléchir, cherchant sans cesse à nous faire saisir la complexité du monde et des hommes derrière les oppositions (trop) évidentes.

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