• Éden, de Mia Hansen-Love (France, 2013)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Le mercredi soir de la sortie, à 20h

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Deux figures tutélaires d’exception dominent Éden, mais au point de lui faire malheureusement trop d’ombre : d’une part la superbe BD consacrée à l’émergence de la musique électronique, Le chant de la machine, et de l’autre les Daft Punk. Paul, le héros du film (et alter ego du frère de Mia Hansen-Løve, laquelle reste donc dans la veine autobiographique de ses autres réalisations), croise ici et là les seconds, et côtoie de manière plus régulière les auteurs de la première. Il fait son propre petit bout de chemin en tant que DJ, dans le créneau semi-confidentiel de la house garage, animant des soirées et des émissions de radio au sein du duo Cheers. Mais au cours des vingt ans de sa vie que couvre le film, Paul ne construit rien de pérenne. Ses histoires sentimentales sont comme ses sets musicaux, éphémères et sans suite, se répétant sans se renouveler ni évoluer.

Le problème d’Éden est qu’à trop coller aux basques de son personnage, il se fait piéger dans les mêmes sables mouvants que lui. Les frère et sœur Løve enchaînent les séquences selon un rythme invariable et redondant, à tous les étages : alternance scène d’euphorie nocturne (grâce à la musique et à la danse) / scène de mélancolie diurne (construite autour des dialogues), et au niveau supérieur un flux et reflux toujours identique des tranches de vie de Paul qui se succèdent – rencontre-rupture, espoir-désillusion, projet-abandon. Le film dure 2h15 mais son ampleur n’est que de façade. Il n’a malheureusement pas le foisonnement biographique que lui comme nous lui souhaiterions, envers son héros ou la génération musicale à laquelle il a appartenu. Sur ce dernier point Le chant de la machine fait considérablement mieux qu’Éden, et la manière explicite dont le second cite la première devient un poids pour le film, qui se contente d’accumuler et arborer des souvenirs comme dans une boutique du même nom, là où la BD construit une histoire consistante et captivante.

Concernant Paul, nous avons saisi depuis bien longtemps le propos auquel Éden aboutit quand il se décide enfin à refermer son récit (au prix d’un épilogue laborieux) : la musique est toujours en mouvement, en mutation ; elle est plus grande que ceux et celles qui la font, qui dès lors ne doivent pas oublier de se bâtir une existence ailleurs qu’en son sein. Sur cet aspect plus personnel, ce sont les Daft Punk qui éclipsent malgré eux film et protagoniste. Une poignée d’apparitions suffisent à les rendre plus marquants que les figures centrales du récit, sans que Thomas (Vincent Lacoste) et Guy-Manuel (Arnaud Azoulay) y soient pour quelque chose ; à nouveau c’est Hansen-Løve elle-même, en les convoquant dans son Éden, qui en révèle les faiblesses. Le casting, les situations – comiques ou sérieuses –, les transformations dans la durée, l’utilisation de la musique, tout est plus inspiré lorsque les Daft Punk sont concernés. Non pas car ils sont célèbres, ou plus talentueux, mais parce que la réalisatrice trouve chez eux une matière cinématographique plus féconde.

Même si le changement d’échelle de ce film par rapport à ses précédents la fait trébucher, Hansen-Løve n’a pas perdu ce qui fait la beauté singulière de son cinéma. Sa sensibilité est intacte, toujours aussi fine et précieuse pour faire ressortir, et ressentir, des choses qui restent souvent en arrière-plan, négligées. Dans Éden, ce sont les moments d’harmonie et de ruptures, précisément comme dans une composition musicale. L’harmonie est un présent fait aux êtres par la musique, une parenthèse enchantée dans le cours de la vie – le générique d’ouverture en est un superbe exemple. Certaines ruptures subies par Paul sont des moments de cinéma tout aussi forts : la lettre d’adieu de Julia (Greta Gerwig), laquelle apparaît en surimpression à l’écran en même temps que Paul lit sa missive ; la première interprétation en public de Da Funk par les Daft Punk, qui va les faire s’éloigner inexorablement de leurs connaissances (à partir de cet instant ils évoluent dans un autre monde, celui du succès planétaire) comme le montage l’exprime en les cadrant de plus en plus loin dans la pièce à chaque coupe. Éden est beau par intermittence, quand on aurait tant aimé qu’il le soit sur la durée.

Laisser un commentaire