• Deux de la vague, de Emmanuel Laurent & Antoine de Baecque (France, 2010)

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Où ?

A l’Espace Saint-Michel

Quand ?

Dimanche, à 13h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Jean-Luc Godard et François Truffaut, auxquels ce documentaire est consacré, ont été pour la Nouvelle Vague l’équivalent de John Lennon et Paul McCartney au sein des Beatles à la même période. Soit deux jeunes gens autodidactes, extrêmement talentueux et ambitieux, dont la complémentarité de goûts et d’intentions a servi de locomotive surpuissante à tout un groupe avant d’imploser au visage des deux principaux intéressés une fois leurs divergences devenues trop fortes. Deux de la vague fait le récit de cette amitié créatrice passionnée dans le positif comme dans le négatif et sans demi-mesure possible entre les deux. Le choix d’observer les événements des deux décennies allant de 1953 (début de l’aventure des deux hommes aux Cahiers du Cinéma) à 1973 (date de leur rupture spectaculaire, par des lettres d’une grande violence) uniquement à travers le filtre des faits et gestes du duo Godard – Truffaut a quelque chose de réducteur, dans sa manière de ramener les autres grands noms de l’époque – les cinéastes complices Chabrol, Rohmer, Rivette, mais aussi les mentors André Bazin ou Henri Langlois – au rang de faire-valoir. Mais même concentré ainsi sur deux destins, le film s’arque sous la densité d’anecdotes et de pistes d’analyse que la narration de de Baecque accumule à propos de chacun des cinéastes. Auteur de biographies-fleuves de référence sur l’un et l’autre, de Baecque est presque trop calé sur son sujet, et l’on s’essouffle parfois à le suivre dans ses allées et venues à travers le temps et les thèmes.

Dernier défaut de forme à relever : les tentatives forcées et maladroites de la mise en scène pour briser le ronronnement de l’enchaînement des images d’archives pour la plupart inertes : photos, articles de journaux, correspondances écrites. Deux de la vague est de ces documentaires qui brillent exclusivement par le matériau qu’ils traitent – et peu importe après tout, tant qu’ils brillent. La Nouvelle Vague a été l’une des grandes entreprises artistiques françaises de la seconde moitié du 20è siècle, et au sein de ce cadre collectif les histoires propres à Godard et à Truffaut forment en elles-mêmes de foisonnants romans que l’on ne se lasse pas de (re)découvrir. Pour les événements intimes qui ont nourri leurs parcours (le passage de Truffaut par la maison de redressement, le « retard à l’allumage » de Godard au moment où la Nouvelle Vague prend son envol), et pour la façon qu’ont eu ces parcours de croiser emblématiquement la grande histoire. Ils ont vécu au premier rang la déliquescence du cinéma hollywoodien au tournant des années 60, la folle année 1968, et surtout la rupture radicale qui a suivi celle-ci, et qu’ils se sont retrouvés à incarner, entre un engagement politique total et la jouissance d’un confort matériel et social désormais pleinement accessible. Deux de la vague trouve un très beau moyen de raconter, de biais, cette scission Godard – Truffaut : via le personnage de Jean-Pierre Léaud, acteur fétiche des deux et de plus en plus écartelé comme peut l’être l’enfant d’un couple qui divorce.

Chacun des deux cinéastes a alors embrassé de manière absolue sa cause, à travers le collectif Dziga Vertov et des films comme Tout va bien pour Godard, et des productions de plus en plus empreintes de classicisme et tournées vers le grand public – La nuit américaine, Le dernier métro – pour Truffaut. Dans de telles circonstances, l’harmonie idéale de l’année 1966, quand l’un faisait Pierrot le fou, l’autre Fahrenheit 451 et que tous deux défendaient ardemment et de concert La religieuse de Rivette contre la censure, n’est plus du tout concevable. Le fossé qui l’a remplacée est toujours ouvert aujourd’hui dans le cinéma français, coupé en deux entre ceux qui visent le succès populaire et ceux qui entendent faire réfléchir et réagir.

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