• Collateral, de Michael Mann (USA, 2004)

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Où ?

A la cinémathèque française, dans la dernière ligne droite de la rétrospective consacrée au cinéaste (il s’agissait même de la toute dernière séance de ce cycle)

 

Quand ?

Fin juillet

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

A tous ceux qui doutent de la beauté magnétique et animale de Los Angeles, la mal-aimée des villes californiennes : regardez Collateral. A tous ceux qui doutent encore du
talent d’acteur de Tom Cruise : regardez Collateral. Et à tous ceux qui veulent voir le polar fondateur de l’entrée de ce genre dans le 21è siècle : regardez…
Collateral. Lorsqu’il revient en 2004 sur ses terres de prédilection – la série Miami vice, Heat – après les deux superbes fugues que furent
Révélations et Ali, Michael Mann
le fait apparemment par la petite porte, en se portant volontaire pour porter à l’écran un scénario de commande qui passe de main en main à Hollywood depuis plusieurs années. Ce script est en
fait un prétexte, une base de travail idéale pour tester le jouet sophistiqué dont il est devenu fan au moment du tournage d’Ali (dont plusieurs séquences ont déjà été filmées de
la sorte) : la caméra numérique haute définition. Laquelle apporte à l’image une définition et une précision incomparables, un bouleversement qui se ressent tout particulièrement dans les
scènes nocturnes qui peuvent désormais être tournées, en décors extérieurs, uniquement avec les éclairages intrinsèques à ces dits décors. Ça tombe bien – Collateral se
déroule intégralement de nuit. Et quelques aléas techniques et dépassements de budget plus tard, Mann a incontestablement atteint son but.

La nuit tombe sur L.A. après une petite dizaine de minutes de film, tandis que la caméra suit une course en taxi avec en fond sonore l’entêtante ballade soul « Hands of
time
 » du groupe Groove attitude. L’éclat nocturne de la ville, la variété de ses couleurs artificielles et de leurs reflets sur les bâtiments et la végétation, le kaléidoscope de
quartiers et de fortunes qui la forme, tout cela nous enveloppe graduellement, en douceur. Même lorsque les macchabées commenceront à tomber du ciel, et que le destin semblera s’acharner sur Max,
le chauffeur de taxi en question qui a eu la malchance d’embarquer Vincent le tueur à gages ayant cinq cibles à éliminer d’ici le lever du jour, Collateral ne se déparera jamais
de cette atmosphère de soul music, feutrée, chaleureuse, délicate. La sympathie immédiate que dégage Max, par sa désinvolture et sa simplicité (Jamie Foxx n’a jamais été aussi touchant
que dans ce rôle « d’homme du peuple », réservé et lucide), y est pour beaucoup, de même que le caractère étonnamment banal de la plupart des arrêts de la nuit – un club de jazz, la
chambre d’hôpital de la mère de Max.

Mais le plus grand mérite en revient au réalisateur, qui a su voir cet aspect de l’intrigue entre les lignes du scénario, puis qui a choisi de le mettre en avant en lieu et place de l’action
brute. L’enquête menée par les policiers suivant Max et Vincent à la trace se voit ainsi réduite à des bribes minimalistes (et sibyllines à la première vision du film), alors que dans le même
temps chaque trajet – sans exception – d’un lieu à un autre est scrupuleusement montré à l’écran. Mann gagne de ce fait sur les deux tableaux : il trouve là l’opportunité de signer un nombre
considérable de plans urbains noctambules, tous plus magnifiques les uns que les autres ; et il renforce l’ambiance si spéciale de son thriller alternatif. En effet la nuit les rues sont
vides, la lumière est plus douce (surtout quand on peut filmer sans projecteurs supplémentaires), l’activité humaine fonctionne au ralenti… En faisant transparaître cela par tous les interstices
de Collateral, Mann en met la violence et l’hystérie potentielles en sourdine – même s’il se montre tout à fait à son aise lorsqu’il s’agit de se fendre d’une scène d’action ou de
suspense. On peut même dire qu’il ridiculise toute concurrence dans ce domaine, en deux occasions au moins : une séquence d’infiltration puis de fusillade en boîte de nuit au découpage
ahurissant de précision, et un jeu de cache-cache dans un bureau panoramique plongé dans le noir total et uniquement éclairé par les lumières de la ville en contrebas (le clou du spectacle en ce
qui concerne l’aspect technique du film).

C’est donc tout sauf un hasard si les deux plans les plus marquants du film interviennent dans des moments en creux. Il y a le plan de fin, après le face-à-face terminal, sur un cadavre
abandonné dans le métro, prêt à être ignoré de tous ; et il y a la confrontation impromptue, au cours d’un de ces trajets de transition, avec un chacal traversant une avenue déserte – Los
Angeles est une ville aux dimensions tellement démesurées et à la densité tellement faible que certains endroits, en théorie urbains, n’ont en pratique jamais vraiment quitté leur état sauvage et
désertique. Ces deux plans muets, d’une beauté déchirante, concentrent chacun tous les degrés de lecture de Collateral. Le chacal sert de révélateur au personnage de Vincent quant
à sa vraie, et inhumaine, nature ; mais au-delà de ce cas individuel, il expose également la précarité de la vie en communauté, à travers sa matérialisation présente dans une mégalopole
comptant plusieurs millions d’habitants. Tout comme la ville est une construction foncièrement éphémère qui peut à tout moment être réappropriée par le désert et ses animaux, la société humaine
qui l’habite repose sur des bases fragiles, pouvant être très facilement brisées par le choix du retour à la violence et à l’insensibilité, aux règles d’avant la société. Et la nuit, la musique,
les lumières vaporeuses apaisantes ont beau donner l’impression d’atténuer les effets de cette résurgence de la barbarie (à travers les assassinats de Vincent et son refus d’y voir le Mal à
l’œuvre), celle-ci progresse indubitablement. Le développement très pessimiste du script de Collateral brosse en effet une relation à sens unique, avec Max incapable de
« ramener » Vincent parmi les humains, et au contraire Vincent déteignant de plus en plus sur Max le cool guy.

C’est là que Tom Cruise se montre à son meilleur ; dans cette froide assurance, doublée d’une absence de volonté séductrice complètement inédite chez lui, avec laquelle il nie la bonté
autour de lui, et par ce biais la fait expirer. Etant le plus exposé à ce virus, Max est parmi tous les protagonistes du film celui qui en subit le plus les effets. Il se transforme en rien de
moins que le double de Vincent – la métamorphose se fait même littérale, lorsque le scénario a l’idée géniale d’utiliser la règle d’anonymat total du tueur pour faire prendre à Max sa place au
cours d’un rendez-vous. Le chauffeur de taxi réussit ce premier test haut la main : à force de le côtoyer d’aussi près, il découvre n’avoir aucun mal à reproduire ses maximes, son attitude,
son charisme carnassier. Suivra un autre test, d’un tout autre niveau. Si Max veut sortir vivant de cette nuit cauchemardesque, il lui faudra en passer par l’application des méthodes meurtrières
de son kidnappeur / mentor. L’élève devra dépasser le maître. Quelle saveur aura sa vie une fois ce cap franchi, Collateral ne le dit pas ; ce qui en fait le film de Michael
Mann à la conclusion la plus ouverte et la plus fascinante à ce jour.

Une réponse à “Collateral, de Michael Mann (USA, 2004)”

  1. dissertation dit :

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