• Casablanca, de Michael Curtiz (USA, 1942)

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Même s’il n’appartient pas à mon panthéon personnel des plus grands films de l’histoire du cinéma, difficile de résister au charme de Casablanca. Son importance et sa qualité sont deux vertus de taille, et qui s’enrichissent mutuellement. L’importance du film, qui lui est conférée par son contexte en prise directe avec les événements réels se déroulant en parallèle du tournage, lui donne une matière brute de tout premier choix sur laquelle travailler. Et la qualité générale d’exécution du long-métrage fait que Casablanca tire le meilleur de ce sujet, et s’en fait le porte-voix le plus remarquable qui soit. Casablanca, c’est l’alliance du meilleur de l’ancien et du nouveau monde en cette année 1942 : de la puissance de feu artistique d’Hollywood, alors en état de grâce créatif, et de l’esprit de la résistance clandestine paneuropéenne aux forces de l’Axe, qui trouve un écho certain à Los Angeles où nombre d’artistes s’étaient expatriés dès les années 30, face à la montée du nazisme.

Avec entre autres son réalisateur d’origine hongroise (Michael Curtiz) et son casting ne comportant que trois acteurs nés sur le sol américain (dont Humphrey Bogart), Casablanca pousse à l’extrême le concept de melting-pot culturel ; d’internationale de talents réunis par-delà leurs origines au nom d’une cause supérieure. C’est également un modèle d’intelligence géopolitique, qui développe une vision limpide et incroyablement clairvoyante des enjeux et menaces de ce moment charnière de la Seconde Guerre Mondiale – alors même que celle-ci se déroule à des milliers de kilomètres de là, et au présent1. Soixante-dix ans plus tard, le tour de force impressionne toujours. L’ambiguïté de la période, où cohabitent toujours France occupée et France « libre » de Vichy, et où il n’y a pas encore l’ombre d’un soldat américain en vue, est magnifiquement retranscrite. On doit cela au scénario ambitieux et touffu, qui n’a pas peur de jouer sur les nuances de gris plutôt que sur les oppositions trop contrastées, et sur les alliances fluctuantes plutôt que sur les caractères gravés dans le marbre. C’est un script qui traite le spectateur d’égal à égal, et non de haut, en lui faisant confiance pour faire lui-même les connexions laissées implicites entre plusieurs fils du récit, et pour approuver la juxtaposition des points de vue et motivations de chacun des personnages, sans arbitrage moral de la part du film. Tous ont leurs zones d’ombre, faites de mensonges, de trahisons, de compromissions, de crimes. Tous, individuellement, n’en sont que plus humains. Bien sûr, il y a en surplomb une guerre en cours entre les Nazis et les Alliés et, bien sûr, la sympathie du film va aux seconds. Mais on ne fait pas plus éloigné d’un film de propagande que Casablanca. Même sa scène où l’affrontement entre les deux camps est le plus frontal – une lutte d’hymnes emblématiques chantés à pleins poumons – déborde d’intelligence et de classe, et refuse de cautionner une vision au rabais de la bravoure. Une rare grandeur d’âme habite au contraire le film.

Brillamment écrit, Casablanca l’est à tous les niveaux. Les personnages sont saisissants de complexité mais aussi d’énergie dans leurs sentiments. Les dialogues placés dans leurs bouches pour exprimer cela comptent parmi les plus finement ciselés qui soient – pas étonnant qu’une demi-douzaine, au bas mot, de citations issues du film soient devenues cultes. Et il n’y a pas que l’écriture qui est à célébrer, ce sont tous les maillons de la chaîne de création d’un film hollywoodien de cet âge d’or qui donnent leur meilleur. La musique de Max Steiner, mosaïque habile et sensible de thèmes originaux et de standards réinventés (dont le désormais mythique As time goes by), est un pilier du film. Parmi les comédiens, aucun ne vient déprécier, ne serait-ce que d’un échelon, l’excellence de la composition d’ensemble. Chose rare, les seconds rôles de Casablanca sont tout autant à leur avantage que les premiers, tout en restant à la place qui leur est assignée dans le récit. Personnellement, ma performance préférée est ainsi celle de Claude Rains dans le rôle du Capitaine français collabo Louis Renault.

La mise en scène de Curtiz mérite également les éloges, pour la limpidité dans la progression et en même temps le souffle romanesque et épique qu’elle apporte à une histoire en définitive très succincte et statique. Une petite histoire – un triangle amoureux, et seulement deux tickets pour fuir vers un monde meilleur – perdue dans le tourbillon de la très grande en train de se faire. En maniant l’intime et le global avec autant d’habileté et de subtilité, Casablanca se distingue sur ces deux fronts. Il est tout entier une superbe illustration de l’explication que Bogart donne à Ingrid Bergman pour justifier son geste final (« it doesn’t take much to see that the problems of three little people don’t amount to a hill of beans in this crazy world ») ; et dans le même temps, il fait de ses deux héros des icônes romantiques bouleversantes et inoubliables. Play it again, Sam…

1 Mis en chantier peu après l’attaque de Pearl Harbour, le film a été achevé alors que les Alliés entamaient leur conquête du front africain – il a d’ailleurs été question d’intégrer à l’épilogue une mention de leur prise de la ville de Casablanca

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