• Cannes, 24 mai : Sightseers, de Ben Wheatley

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Ça sent la fin. La Semaine de la Critique a fermé boutique (avec son Grand Prix remis au mexicain Aqui y alla d’Antonio Mendez Esparza), la Quinzaine des Réalisateurs s’apprête à en faire de même en n’ayant plus à son programme que son film de clôture (Camille redouble de Noémie Lvovsky). Seule la compétition officielle est encore en pleine forme, ce qui ne ravit pas forcément ceux qui ont l’obligation de la suivre de façon exhaustive au vu des expériences douloureuses qu’elle leur réserve ces derniers jours. Ça sent la fin également dans les salles, où un renversement net s’est opéré : elles étaient toujours pleines en début de festival, désormais elles ne le sont plus qu’exceptionnellement. Pour la première fois il restait des places à une séance où je me trouvais hier en fin de journée, pour Sofia’s last ambulance ; phénomène qui s’est reproduit trois fois sur quatre aujourd’hui. Tout d’abord pour Miss Lovely d’Ashim Ahluwalia, présenté à Un Certain Regard. Le film se présente comme une sorte de transposition dans les années 80 et à Bombay de Boogie nights, avec pour héros deux frères produisant et réalisant des films d’exploitation Z (érotiques, horreur, ou les deux mélangés). Je le reporte à mon billet de demain, car je sais d’avance que je n’ai pas le temps de traiter tout ce 24 mai d’un coup, mais le film a fait son petit effet sur moi.

The king of pigs, dessin animé réalisé par Yeun Sang-ho vu à la Quinzaine, est au contraire une grande déception, à la hauteur de la justesse de sa cause : faire le procès sans concession du devenir contemporain de la Corée, matérialiste et obsédée par la réussite et l’ordre social, à travers la vie d’enfant et d’adulte de trois maillons faibles de ce système. La violence généralisée engendrée par cette marche économique forcée est un thème récurrent du cinéma de ce pays, et bien des films l’ont mieux traité que celui-ci. The king of pigs s’autodétruit car il ne sait canaliser sa rage, qui se retourne de fait contre lui-même et ses protagonistes. Et si le film est effectivement très dur, ce n’est pas pour les bonnes raisons ; mais de la même manière qu’il est désagréable d’observer une personne brisée par la vie, ayant perdu tout espoir, donner en spectacle sa détresse avec misère et fracas. Une fois la situation d’injustice tragique exposée, le film tourne en boucle dessus de manière obsessionnelle, prenant pour une progression dramatique le fait d’augmenter le volume et l’hystérie de ses vociférations.

À propos de The Central Park five, Hors Compétition, il y a aussi moins à dire qu’imaginé. Ce documentaire est l’œuvre de Ken Burns (en collaboration avec sa fille Sarah et son gendre David MacMahon), immense nom du genre dont les séries-fleuves The war et The civil war sont arrivées jusqu’à nous. Ce nouveau film s’avère moins bouleversant, « la faute » à son sujet si l’on peut dire, celui-ci étant plus restreint – un fait divers – et plus normé – une erreur judiciaire et sa réparation trop tardive, trop discrète. Les cinq de Central Park dont il est question sont des gamins de Harlem âgés de 14 à 16 ans, accusés à tort du viol d’une joggeuse. À tort, et surtout selon une procédure à l’arbitraire tellement hallucinant qu’il finit presque par relever du pur hasard. Le film est pour cette raison à montrer à tous ceux qui trouvent (ou trouveront) l’histoire de La chasse ridicule dans son engrenage d’accusations et de persécutions : la réalité présentée ici est encore plus folle et grave. À la suite du viol les policiers ont gardé sous la main une vingtaine de gosses arrêtés à proximité pour des petits délits, sont allés en rechercher d’autres le lendemain, et les ont tous pressurés, intimidés, bousculés jusqu’à ce que certains (cinq, donc) craquent et répètent sans les comprendre les récits énoncés face à eux – exactement comme le fait la petite fille dans La chasse. Les aveux dûment enregistrés lancèrent la machine à transformer la justice en vengeance, et à nourrir la paranoïa du « bon » peuple envers toutes les puissances fantasmées pouvant troubler sa sérénité. À l’autre bout du chemin, il y aura un nouveau coup improbable du hasard qui mènera à l’annulation de toutes les charges – mais pas la hargne et les préjugés du public, ce qui conduit à la morale acerbe énoncée par un intervenant « we have to accept that we are not very good people ». The Central Park five ne fait « que » raconter cela, mais il le raconte de manière solide, juste, et c’est tout ce qu’on lui demande.

La seule séance affichant complet de ma journée fut celle de rattrapage de l’anglais Sightseers, de la Quinzaine encore. Ce long-métrage de Ben Wheatley apporte un brillant point final à une tendance nette de ce Festival (de l’expérience que j’en ai eu, tout du moins) : les films mineurs s’en sont mieux sortis que les aspirants grands films. Les seconds ont presque tous failli au moins en partie, quand les premiers – qu’il s’agisse de comédie, documentaire, dessin animé tous publics, slasher – parvenaient à exploiter pleinement leur potentiel. Sightseers en est un exemple superbe, car parfaitement conscient qu’il ne raconte presque rien, les premières vacances ensemble d’un couple, qui se transforment en virée meurtrière menée à quatre mains. Sightseers combine deux domaines cinématographiques dans lesquels le Royaume-Uni excelle régulièrement, l’horreur et l’humour nonsense, comme si du sang de Sacré Graal ! coulait dans ses veines. On y retrouve l’addition campagne bucolique anglaise + meurtres en masse + héros complètement déconnectés moralement de la malfaisance de leurs actes. Les deux comédiens Alice Lowe et Steve Oram sont parfaits en duo crétin à la Minus et Cortex, et ils ne sont pas mal non plus en scénaristes – assurant un beau renouvellement des contextes des crimes, enchaînant les gags inspirés (en particulier sur le sexe, sujet toujours délicat), insistant sur l’amour sincère entre leurs personnages, ce qui force une envers eux une certaine sympathie délicieusement déroutante. Comme en plus la réalisation est rythmée, avec de beaux exemples d’intégration de la musique, et que la touche finale du film est exactement celle qu’il faut, là où il faut, absolument rien ne vient gâcher notre plaisir méchant et absurde.

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