• Call me by your name, de Luca Guadagnino (Etats-Unis, 2017)

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Où ?

A la maison, en DVD édité par Sony Pictures France (sorti le 4 juillet 2018, également en Blu-Ray) et obtenu via Cinetrafic dans le cadre de leur opération « DVDtrafic »

Quand ?

Lundi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Le temps d’un été en Italie, Elio, le fils adolescent d’un professeur, et Oliver, le jeune homme venu en stage chez ce dernier, passent par tous les états du désir – la crainte, la passion, la tristesse. Ce qui en résulte est aussi troublant, ardent, bouleversant pour nous dans la salle que pour eux à l’écran. Il y avait pourtant au moins une excellente raison de craindre le pire : le précédent essai du réalisateur Luca Guadagnino pour filmer un groupe d’acteurs anglophones dans une maison de vacances en Italie s’était soldé par le catastrophique A bigger splash. Call me by your name est à tous les niveaux une réussite inversement proportionnelle à ce ratage, ce qui ne laisse pas de sidérer longtemps après la projection. Guadagnino a cette fois tout bon, cadré mais aussi certainement inspiré jusqu’à toucher la grâce, par le scénario que James Ivory a tiré du roman d’André Aciman (traduit en France sous le titre Plus tard ou jamais), avant de passer la main au cinéaste italien pour sa mise en scène.

Le vaste mélange des genres, des ambiances, des influences que tentait A bigger splash tournait à la cacophonie, à l’excès hystérique et indigeste ; celui à l’œuvre dans Call by your name compose une symphonie fantasmagorique, enchanteresse, qui se hisse parmi les grands films de cette année. Un songe de tout un été, les nuits autant que les jours, où les personnages changent de langue au gré des conversations (italien, français, anglais s’entremêlent et se répondent harmonieusement), vivent autant dans les arts (sculpture, littérature, musique…) que dans la réalité concrète, s’éclipsent et réapparaissent à leur guise sans que l’on sache où ils étaient dans l’intervalle. Un songe où même le monde extérieur perd la raison : situer le récit du film en 1983 permet de se retrouver avec un gouvernement italien coalisant de manière invraisemblable cinq partis hétéroclites. C’est un songe improvisé pas après pas, par des êtres qui aspirent à ce que l’existence ait plus d’intensité, plus de portée ; qu’elle rime à quelque chose, tel un poème.

L’une des grandes beautés de l’histoire de Call me by your name est qu’elle réunit trois générations – celle qui découvre l’effet du désir, accélérateur de particules et d’émotions, sur nos vies (ce sont Elio et ses amis adolescents), celle qui le vit d’ores et déjà pleinement (Oliver), et celle qui regarde cela depuis l’autre rive, étant revenue de ces expériences passionnées (les parents d’Elio). Les états de ces trois âges sont élégamment figurés via le stade où ils en sont rendus de l’éducation, qui constitue une part importante de chacun : il y a le lycéen, l’étudiant presque diplômé, et le professeur émérite qui se tient en retrait mais voit tout et surtout comprend tout. Ce dernier personnage, du père joué par Michael Stuhlbarg, semble effacé, presque survolé par le film ; il prendra tout son sens et sa force dans l’épilogue, le temps d’un long discours merveilleusement écrit et prononcé, qui emporte tout sur son passage. Le père y soutient le fils, en le consolant et l’assurant de son soutien indéfectible peu importe ce qu’il traversera et avec qui ; le professeur y éclaire l’élève en lui faisant prendre conscience de ce que représente son histoire au-delà de l’expérience qu’il en a eue.

Au début du film, à Oliver qui lui demande ce que l’on fait l’été dans ce coin de la campagne italienne, Elio répond « on attend juste que l’été finisse ». C’est la dernière fois qu’il pense cela, son indolence laissant la place au cours de cet été particulier aux élans du désir adulte dont Oliver est déjà le jouet, mi-embarrassé (son premier petit déjeuner dans la maison le voit refuser de manger un deuxième œuf, car il serait alors incapable de s’arrêter et en mangerait un troisième, puis un quatrième, etc.) mi-volontaire. C’est lui qui fait très explicitement les premières avances à Elio, lequel est tout d’abord décontenancé par ces nouvelles règles du jeu auxquelles il tente de substituer celles qu’il connaît – la concurrence entre garçons, la séduction des filles par défi autant (ou plus) que par réelle envie. Comptant parmi les meilleurs films parlant du désir homosexuel, Call me by your name est le récit de l’éducation d’Elio à ces règles, ces passions qui nous éclairent et nous brûlent, nous font chavirer parfois jusqu’à l’irrationnel. Une superbe illustration de cet ébranlement est apportée par une scène mémorable, impliquant une pêche plutôt qu’une pomme comme symbole du passage (à la fois chute et élévation) d’Elio dans le monde des adultes.

C’est une scène à l’intersection de la beauté et du ridicule, de la pureté et de la perversion, comme le sont de manière plus générale les années 80 qui accueillent le récit (du film et du livre avant lui). Cette décennie est un écran idéal à Call me by your name, de par l’alliance qui y prenait corps entre le kitsch et la sincérité, dans les couleurs et les vêtements, les danses et les chansons – voir une autre scène très belle, où Oliver danse au milieu de la rue sur Love my way des Psychedelic Furs, que joue l’autoradio d’une voiture. C’est une chanson plus moderne, écrite spécialement pour le film par Sufjan Stevens (Visions of Gideon), qui accompagne le magnifique et déchirant dernier plan du film – celui qui montre une dernière fois à quel point Guadagnino a véritablement tout compris à son sujet, à ses personnages et à leurs émotions. Tandis que Stevens chante ce qui est la plus grande douleur de la fin d’une histoire, la peur que celle-ci n’ait jamais eu lieu (« I have loved you for the last time / Is it a video ? »), Guadagnino compose une image en deux parties, deux mondes distincts. À l’arrière-plan, la vie qui suit son cours, monotone comme la lumière grisâtre qui nimbe la mère d’Elio et la domestique dressant la table. Au premier plan, le visage d’Elio éclairé par un feu de cheminée. Dans ses yeux et dans les nôtres, c’est le feu du désir qui lui a causé une brûlure qui le fait encore souffrir ; mais qui lui a aussi insufflé de quoi illuminer la terne routine du quotidien.

Le film sort dans une édition bien fournie en suppléments : un commentaire audio (sous-titré en français) enregistré par les comédiens Timothée Chalamet et Michael Stuhlbarg, un court documentaire sur le tournage et une interview de groupe avec les acteurs principaux et le réalisateur.

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