• Buffalo ‘66, de Vincent Gallo (USA, 1998)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2

Quand ?

Samedi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Vincent Gallo a une étiquette d’artiste excessif et (wannabe) maudit qui lui colle à la peau, et qu’il se charge très bien d’alimenter via les films qu’il met lui-même en scène en marge de son occupation première d’acteur : The brown bunny, Promises written in water qui est visiblement si radical qu’il n’est même pas encore sorti en France. La surprise est donc grande lorsque l’on découvre que Buffalo ’66, sa première réalisation, vient sérieusement – et sciemment – chahuter cette image. Gallo y incarne le personnage principal, Billy, qui sort de prison au bout d’une peine de cinq ans mais est plus un écorché vif dans un état de mal-être permanent qu’un criminel endurci. Sa première journée passée en liberté prend un tour inattendu lorsqu’il kidnappe Layla (Christina Ricci), pour lui faire jouer le rôle de l’épouse fictive qu’il s’est inventé auprès de ses parents auxquels il doit rendre visite.

Le premier événement du récit fixe le ton, en se positionnant résolument sur le terrain du comique de vaudeville tendant vers le vulgaire. Billy est pris d’un irrépressible besoin de pisser, frappe à plusieurs portes en commençant par celle de la prison, et de refus en refus se retrouve dans la salle de danse où Layla est justement en train de suivre une leçon. La balourdise voulue de l’humour se télescope alors avec la trame éternelle de la comédie romantique classique : boy meets girl par hasard, le sort les contraint à se supporter alors qu’ils se détestent, puis en les séparant leur fait prendre conscience qu’en réalité ils s’aiment follement. Avec son comportement d’ours mal léché et ses blagues de mauvais goût, Vincent Gallo déboule dans ce milieu comme un chien dans un jeu de quilles. Les dix premières minutes, jusqu’au rapt, sont menées tambour battant, une véritable blitzkrieg désagrégeant les lignes de défense des bonnes manières. La suite ne baisse pas de pied, loin de là ; en confrontant son couple désaccordé à une paire encore plus dysfonctionnelle et infâme, Buffalo ’66 déclenche une réaction en chaîne à l’énergie comique et acide fabuleuse. Les parents de Billy, interprétés avec gourmandise et talent par Anjelica Huston et le récemment disparu Ben Gazzara, sont effarants de méchanceté et de bassesse. A l’écriture de cette longue séquence, Gallo ne s’est fixé aucune limite à son entreprise de démolition de la fable du cocon familial protecteur et aimant. Dérangeant et hilarant, le résultat est soutenu par un travail sur la mise en scène (les plans fixes symétriques autour de la table du dîner) et le montage (les inserts de souvenirs d’enfance blessants de Billy) d’une exigence et d’un accomplissement qui sont plus l’exception que la règle dans ce genre de récits.

En duo puis en quatuor, la première heure met la barre tellement haut qu’elle laisse peu de chances à la suite du film de soutenir la comparaison. Buffalo ’66 n’en reste pas moins surprenant et attachant, car Gallo gère de belle manière le virage vers l’émergence des sentiments. Portées par l’inquiétude, superbement rendue, des deux âmes en peine quant à leur capacité à être effectivement amoureux, une très jolie scène de séduction au bowling suivie d’une soirée à l’hôtel d’une infinie tendresse, sur laquelle Lost in translation a tout piqué, mènent en douceur le film aux portes de son épilogue. Gallo y fait pour de bon un sort à la part morbide et indocile de lui-même, au prix d’un détour narratif un peu lourd mais qui en vaut incontestablement la peine pour la dernière scène qu’il suscite. L’auteur-réalisateur-interprète y fait le choix de la vie, de l’amour, du bonheur ; autant de poncifs de la comédie romantique, mais embrassés avec tellement de candeur et d’authenticité dans le décor et le geste retenus pour les exprimer, qu’il est impossible de ne pas fondre sous le charme, comme devant une vidéo de chaton trop mignon sur YouTube.

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