• Boogie nights, de P.T. Anderson (USA, 1999)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 anglais

Quand ?

En deux fois, dimanche et lundi soir

Avec qui ?

Ma femme

Et alors ?


Si l’on met de côté Hard eight, techniquement son premier
long-métrage mais passé tout à fait inaperçu et aujourd’hui quasiment invisible, Boogie nights marque les véritables débuts dans le cinéma de P.T. Anderson. Dès lors, le premier
plan de ce film représente sa déclaration d’intention, son adresse inaugurale ; son entrée dans le monde. Ce premier plan, Anderson l’a rêvé et chéri pendant de longues années, à voir la
flamboyance de sa concrétisation à l’écran. C’est un plan-séquence de trois minutes démarrant sur une grue, virevoltant autour d’un néon géant exhibant le titre, il nous transporte jusqu’à
l’intérieur d’une boîte de nuit où nous sont présentés dans une vague ininterrompue l’ensemble des personnages principaux ainsi que l’univers dans lequel ils vivent – les années 70, la San
Fernando Valley (le centre névralgique de l’industrie du porno, dans les faubourgs de Los Angeles). Au-delà de la référence à La soif du mal d’Orson Welles (le début du plan, dans
la rue) et de la virtuosité de la chose, la forme choisie pour ce plan inaugural est importante car elle exprime la tonalité des deux heures vingt à venir : un tourbillon phénoménal de vie,
qui peut être grisant ou écrasant.

La première partie du film, consacrée au vécu des personnages dans les seventies, n’est rien d’autre qu’une succession de fêtes permanentes, dans les nightclubs ou les maisons immenses
des uns et des autres. C’est à peine si on les voit travailler : une unique séquence de tournage d’un film X, qui dit tout ce qu’il y a à dire sur le sujet. Quant aux accrocs et autres manques
dans leurs existences (échecs familiaux et sentimentaux, abandon des études, refus de regarder en face l’évolution du métier), ils sont négligemment balayés d’un revers de la main à chaque
manifestation. Rien ne doit percer le nuage sur lequel flottent les personnages, les bains sans fin dans les piscines immenses, les lignes de coke, le sentiment d’être sur le toit du monde. Le
choix fait par Anderson de l’industrie du sexe, tabou ultime de nos sociétés occidentales, est idéal pour exprimer le sentiment d’invulnérabilité qui régnait alors, et l’illusion de pouvoir
changer le monde qui allait de pair. Formellement, la présence constante de musique, le montage frénétique, les travellings avant fulgurants et les brusques recadrages sont autant d’éléments qui
portent le même dessein. Dès ce second-premier long-métrage, Anderson est déjà en mesure d’imaginer et de concrétiser une mise en scène remarquable en soi, et qui rehausse les mérites et les
trouvailles des autres composantes du film – principalement le scénario, et le casting.


Le cinéaste est en effet un excellent directeur d’acteurs, point sur lequel je me suis attardé dans mes chroniques de Magnolia et There will be blood. Dans Boogie nights, il se montre également grand découvreur
d’acteurs, révélant aux côtés de ceux déjà connus de Julianne Moore et Philip Seymour Hoffman les talents dramatiques de Mark Wahlberg dans le rôle central, de Burt Reynolds, de John C. Reilly.
Le premier remerciera sûrement toute sa vie Anderson de lui avoir ainsi permis de faire ses preuves en un seul film, le deuxième est passé à un petit orteil d’un Oscar, et le troisième joue le
même rôle que pour Step brothers, mais tourné au
tragique. Tous ces comédiens transcendent la seconde moitié du récit, quand le retour à l’ordre moral des eighties disloque les rêves des grandeur des personnages. Le tourbillon dans
lequel ceux-ci étaient embarqués se retourne à leur insu, mais sans rien perdre de sa force et de sa boulimie. La mise en scène, qui personnifie ce tourbillon à l’écran, n’a donc aucune raison de
se modérer, bien au contraire. Des montages alternés s’étirant sur quinze voire vingt minutes au basculement entre les supports visuels (la vidéo entre autres, instrument de ghettoïsation du
porno et de ceux qui le font), de la saturation du cadre – la séquence infernale chez le dealeur – à la musique toujours omniprésente, Anderson persiste et signe dans la démesure. Cette déchéance
des personnages est particulièrement habile, car elle est à la fois écrite comme une instruction à charge, les confrontant aux conséquences cinglantes de leurs échecs niés dans le passé (études,
famille) ; et filmée toujours du point de vue des accusés, que le réalisateur n’abandonne ainsi pas complètement.


Il n’est pas question pour Anderson de porter un jugement sur les actes de cette galerie dense et complexe de caractères, mais de se tenir à leurs côtés, de rappeler leur sincérité et leur
statut, à un certain degré, de victimes d’un système fondamentalement violent, qui brûle aussi vite qu’il porte aux nues. Dans Boogie nights comme par la suite dans
Magnolia, l’hystérie et l’emphase des sentiments servent de catharsis aux démons intérieurs et aux inconséquences des protagonistes. La force et l’intensité du processus – qui
s’étire sur trois quarts-d’heure – sont telles dans Boogie nights que le happy-end qui vient le clore intervient inévitablement comme une note discordante. La seule d’un film par
ailleurs spectaculaire de brio, d’intelligence et de savoir-faire cinématographique. (Déjà) tout ce qu’il faut pour faire un grand cinéaste.

Une réponse à “Boogie nights, de P.T. Anderson (USA, 1999)”

  1. Salut compatriote d’Over Blog. Sympa tes articles sur P.T Anderson. Cinéma très référentiel, et donc limité, jusqu’au monumental There Will Be Blood. Ca commence évidemment, comme tu l’as dit, par
    la séquence initiale à la grue, clin d’oeil virtuose à La Soif du mal. Altman rôde autour de chaque portraits (Magnolia/Short Cuts). Et enfin, il y a cette séquence finale géniale où le héros se
    met littéralement à nu face à une glace. C’est Raging Bull de Scorsese qui se rejoue ici. Pas un bedonnant De Niro mais un homme réduit à son bout de chair pendant surdimensionné.

    Christophe