• B.A.T. (Bon à tirer), de Peter & Bobby Farrelly (USA, 2011)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

A l’UGC Danton

Quand ?

Mercredi, le soir de la sortie, à 22h

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

Ils ont dépassé la cinquantaine, approchent des vingt ans de carrière et signent leur dixième long-métrage : les frères Farrelly sont passés dans le camp des vétérans de la comédie américaine. Leur verve et leur savoir-faire n’en ont pas pour autant pâti. Hall pass (son titre original, que je vais utiliser plutôt que la version française à la fois cabalistique et insipide) est au contraire la preuve que l’usure du temps et de la demande continue en gags ne les a nullement entamés. On a tout simplement affaire là à leur meilleur film. Meilleur même que le bijou auquel le nom des frères est pour toujours associé, Mary à tout prix ? Je pense personnellement que oui, même si cela se joue à peu de choses.

Le hall pass ou « bon à tirer » dont il est question est un droit à une suspension d’une semaine de toutes les obligations du mariage, concédée à deux amis, Rick et Fred, par leurs épouses respectives Maggie et Grace. Elles partent durant sept jours pour s’effacer du paysage et les laisser mettre à l’épreuve de leur réalité leurs velléités fanfaronnes de jouer les célibataires fêtards, séducteurs et tombeurs qu’ils pensent être toujours au fond – et qu’ils pensent avoir été un jour. Ceci est le pitch du film, mais n’est pas son unique perspective scénaristique. L’idée du hall pass entre en scène relativement tard, après un premier acte qui est plus qu’une simple introduction ; et le troisième acte va à son tour au-delà de la synthèse finale rapide des enjeux et intrigues. Ce souci de maintenir un rapport de force clair entre la bonne idée comique et le scénariste – la première est au service du second et certainement pas le contraire – hisse Hall pass dans la classe des comédies de valeur. Celles-là même qui tiennent avant tout à raconter une histoire harmonieuse, consistante, et à y faire évoluer des personnages en l’existence desquels on peut tout à fait croire. Le film des Farrelly est par son exigence narrative dans le prolongement des classiques du duo Wilder – Diamond ; il l’est également dans son choix de n’annoncer la véritable raison d’être du récit que tardivement, et dans la limpidité « à l’ancienne » de cette révélation. Un personnage secondaire expose directement à Maggie et Grace (et à travers elles, au spectateur) la mécanique du pass, et anticipe même sur le résultat final auquel elle va aboutir : voilà un procédé narratif on ne peut plus old school et à l’efficacité inaltérable.

Le hall pass est donc un moyen, pas une fin. Le scénario nous a de toute façon gratifiés de suffisamment de séquences hilarantes avant son apparition pour se permettre de ne pas surexploiter ce filon humoristique. Hall pass atteint d’ors et déjà son quota d’éclats de rires avec sa description caustique de la petite vie tranquillement embourgeoisée de ses héros, extérieurement mais aussi dans leur comportement (l’hilarant montage en accéléré du cauchemar que deviendrait la vie de Rick s’il cédait aux avances de la baby-sitter qui a la moitié de son âge) ; et avec la réjouissante complicité existant entre Rick et Fred, qui crève l’écran en emportant tout sens des convenances sur son passage lors de la visite de la nouvelle maison absurdement fastueuse d’un couple de connaissances. Le hall pass devient dans ce contexte un réservoir à blagues supplémentaire, en plaçant les protagonistes dans de nouvelles situations (draguer, faire la fête – ou en tout cas essayer de) et en révélant de nouvelles facettes de leurs caractères, essentiellement leur mollesse et leur irrésolution. Il permet ainsi au film de poursuivre dans sa logique ambitieuse de ne jamais avoir recours au recyclage ou à la réactivation d’un gag déjà employé. [Il y a des rappels, bien sûr, mais toujours après un long laps de temps et comme un bonus à des scènes déjà réussies sans cela]. Chaque séquence compose, à partir des éléments disponibles dans son état de départ – le lieu, les personnages, les enjeux –, sa propre combinaison comique. Chacune est unique sur sa forme, sa durée, sa tonalité, mais toutes sont analogues dans les secrets de leur réussite : une maîtrise éclatante, de la part des Farrelly, du tempo de la montée en puissance d’une scène et du moment exact où conclure. Aucune scène ne semble trop heurtée ni trop lente, de même qu’aucune ne parait coupée dans son élan ni étirée excessivement pour surexploiter un effet humoristique. Hall pass est une succession de situations comiquement parfaites.

On y retrouve également, avec bonheur, des formules estampillées Farrelly qui ont déjà fait leurs preuves, dans Mary à tout prix par exemple. Les deux frères ont une façon toujours aussi géniale d’utiliser les armes comiques de destruction massive que sont les gags explicitement « vulgaires » (scatologiques ou de sexe) : en jouant sur l’effet de surprise plutôt que sur le fait de choquer, et en se limitant drastiquement sur leur nombre pour préserver la force de leur impact individuel. L’effet boule de neige du troisième acte, quand les différentes pistes comiques s’entrecroisent et voient en conséquence leur énergie se démultiplier et devenir incontrôlable, est un autre trait typique des Farrelly – même si pour le coup d’autres sont passés par là avant eux, la liste remontant au moins jusqu’à Lubitsch et Capra. Dans sa dernière ligne droite Hall pass, loin de ralentir en vue de l’arrivée, donne un dernier coup d’accélérateur. La comédie tourne au délire, qui déborde du cadre du prétexte du hall pass et file aussi loin que cela est possible sans trop empiéter sur le temps révolu à la conclusion sage contractuellement inévitable à Hollywood. Comme dans le précédent film des Farrelly, Les femmes de mes rêves (déjà un bon cru), celle-ci est élaborée avec ce qu’il faut d’ambigüité et de place laissée au non-dit pour donner au spectateur une marge de liberté dans son interprétation de ce qu’il voit. Par exemple, dans un film comme dans l’autre les personnages ont dès le départ en eux ce qu’il faut de médiocrité, et d’inhibitions, pour que la sorte de « retour à l’ordre moral » qui les frappe au final puisse être vue comme ne les concernant qu’eux, et pas comme une vérité absolue assénée par le film au public. Hall pass ne libère certes pas ses héros mais il ne les accable pas non plus, pas plus qu’il n’accable le spectateur. Le contraire du récent et atterrant American trip, en somme.

Tout est parfait, alors ? Du côté des Farrelly, oui ; en ce qui concerne les acteurs, non. Sans être mauvais, ceux-ci n’enrichissent pas véritablement leurs rôles qui ne sont pas plus drôles que ce que les réalisateurs ont écrit. Christina Applegate (déjà excellente il y a peu dans Trop loin pour toi) sort un peu du lot, les autres étant plutôt transparents. Et Owen Wilson en particulier souffre de la comparaison qui s’opère dans mon esprit avec ce que Ben Stiller aurait fait d’un tel personnage, qui correspond plus à son humour hargneux et mal dans sa peau qu’à celui, enjoué et lunaire, de Wilson. C’est un rôle pour Zoolander plus que pour Hansel.

Laisser un commentaire