• 5 caméras brisées / The gatekeepers, regards documentaires croisés entre Israël et la Palestine

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Où ?

À l’Espace Saint-Michel pour 5 caméras brisées, et à la maison sur Arte+7 pour The gatekeepers

Quand ?

Dimanche après-midi et soir

Avec qui ?

MaBinôme

Et alors ?

Nominés tous les deux pour l’Oscar du meilleur documentaire (et battus tous les deux par Sugar man), diffusés simultanément en France (même si par des canaux différents), 5 caméras brisées et The gatekeepers semblent liés par un destin commun. Tout un symbole, étant donné qu’ils présentent les deux points de vue ennemis sur le conflit israélo-palestinien et que chacun, dans sa forme, reflète fidèlement la condition de son camp. Côté palestinien, la débrouille et l’amateurisme priment : 5 caméras brisées est l’œuvre d’un fermier, Emad Burnat, qui s’est improvisé documentariste lorsque la colonisation brutale de la Cisjordanie est arrivée aux portes de son village, Bil’in. En face, l’opulence, la sophistication et la discipline à l’œuvre en Israël transpirent à tous les niveaux de The gatekeepers, de son sujet (le Shin Bet, le service de renseignements national) à son budget, confortable au point de permettre l’intégration d’images de synthèse dans certaines scènes de reconstitution d’événements.

Au décompte par Burnat de ses caméras détruites au fil des saisons par les grenades et les balles des soldats répond celui, d’un tout autre genre, des anciens dirigeants du Shin Bet épinglés au tableau de chasse de Dror Moreh, le réalisateur de The gatekeepers. Qui ne s’est pas contenté de recueillir poliment leurs confidences inédites, mais a accompli face à eux un travail d’interrogateur remarquable de droiture et de cran. Grâce à cela, il franchit à chaque fois qu’ils se présentent les écueils de la communication d’entreprise (les anecdotes « croustillantes » mais avant tout flatteuses racontées par des insiders sur leurs missions secrètes) et de l’enfonçage de portes ouvertes, qui pourrait être le seul horizon de certaines analyses succinctes sur une guerre sans issue. Moreh repousse toute forme de laxisme envers ses témoins, refusant de se contenter de réponses trop tièdes ou insuffisantes. Il relance lorsque les sujets embarrassent, pose les questions qui fâchent, trouve d’une manière ou d’une autre une voie menant au cœur du problème. Celui-ci, quel que soit le versant par lequel on l’attaque (les accords d’Oslo, les tentatives d’assassinats ciblés, la colonisation sauvage), finit ainsi toujours par révéler sa funeste complexité.

The gatekeepers confronte impitoyablement ses intervenants, et ses spectateurs, à l’enchevêtrement d’erreurs, de blocages et de radicalisations ayant nourri la gangrène de la situation – et continuant à le faire. La position de Moreh, qu’aucun témoin du film ne parvient à renverser, est qu’Israël se contente, et se satisfait à tort, de gérer un présent étiré depuis bientôt un demi-siècle, sans jamais penser l’avenir. Ils ont beau « être passés de vingt attentats par mois à vingt par ans », cela revient à « gagner chaque bataille tout en perdant la guerre ». Ils dominent outrageusement le champ de l’action, mais au prix de l’abandon complet de celui de la réflexion. Nous faisant quitter les bureaux direction le terrain, 5 caméras brisées apporte une cruelle illustration concrète aux mots des Gatekeepers. La leçon des années de lutte inégale pour l’occupation des terres de Bil’in est que tout le monde est perdant : les palestiniens dans l’immédiat et dans leur chair, les israéliens moralement et sur le long terme.

Les images de ce journal intime à vif, sans la moindre fioriture, de l’oppression et de la destruction sont à la fois vitales et inutiles. Elles octroient à Burnat et, à travers lui, à tous les habitants du village, un supplément d’existence ripostant à l’entreprise d’écrasement menée par Israël. Burnat et les siens ont désormais une mémoire matérielle, une voix qui porte. Mais cela reste foncièrement vain, face à un assaut dont les vagues se suivent sans cesse, jusqu’à former un mouvement perpétuel qui relèverait du comique de répétition si ses conséquences n’étaient à ce point tragiques. Le montage intelligent de 5 caméras brisées souligne comment chaque action des villageois est immédiatement suivie du débarquement, à toute heure du jour ou de la nuit, d’un bataillon de dizaines de soldats, jamais les mêmes mais toujours d’aspect juvénile, suréquipés, armés de tant de grenades qu’ils les lancent presque sans y faire attention. À ce harcèlement militaire s’ajoute une autre agression, celle du béton de la colonisation. Les barres d’immeubles, le mur de démarcation balafrent le paysage, ravagent la terre sans possibilité de retour en arrière. La violence de ces visions nous frappe sèchement, crûment, dans une accumulation incessante jusqu’à la fin de 5 caméras brisées. Quand celle-ci arrive, rien n’a été gagné de part et d’autre ; aucune variation n’a été apportée au rapport de force. L’impasse est totale.

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