• Zabriskie point, de Michelangelo Antonioni (USA, 1969)

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Où ?
Au cinéma Le Champo, dans la petite rue du même nom (Champollion) où s’entassent 3 excellentes salles d’art et d’essai sur 50 mètres

 


Quand ?

 

Mardi dernier, en reprise en copie neuve

 


Avec qui ?

Ma femme, et une vingtaine de personnes regroupées dans une salle arrangée de telle sorte que l’on a le sentiment d’être dans le salon de quelqu’un : petite, peu de pente, une porte donnant
presque directement sur l’extérieur et l’autre sur la cabine de projection.

 


Et alors ?

 

Comme toujours dans les films du maître italien, l’ampleur et l’acuité du génie déployé frappent après la projection plus que pendant. Les scénarios conçus et mis en images par Antonioni sont en
effet de longs parcours mystérieux, dont le sens n’émerge réellement qu’au bout du chemin. Unique en son genre, le tour de force ne cesse d’impressionner œuvre après œuvre.

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Dans Zabriskie point, Antonioni observe l’Amérique dans laquelle il vient d’arriver comme il observait Londres dans Blow-up : avec un grand sens de l’adaptation. Bien qu’approchant la
soixantaine, il parvient dans un film comme dans l’autre à se nourrir à la perfection des lieux, des époques, des bouillonnements culturels « de jeunes » pour en tirer la toile de fond
de ses récits. Et bien qu’elle tienne en seulement quelques scènes avant que l’intrigue proprement dite ne s’enclenche, la description de cet arrière-plan ne manque ni de soin ni
d’authenticité. L’affrontement entre les 2 propositions de civilisation qui s’opposaient alors aux USA (à gauche, les émeutes étudiantes, la quête d’un absolu de liberté et d’égalité ; à
droite, la répression policière musclée, la spéculation immobilière, la publicité tous azimuts) a ainsi rarement été synthétisé de manière aussi méthodique et claire que dans le 1er acte de
Zabriskie point.

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Au milieu de ces luttes, Antonioni se focalise sur 2 individus qui ne sont impliqués que par procuration : l’ami d’un émeutier, qui prend la fuite dans le désert après s’être vu accusé
à tort du meurtre d’un policier ; et la secrétaire intérimaire d’un promoteur immobilier, chargée de traverser ce même désert en voiture pour assister une réunion. Il et Elle sont 2 gravures
de mode, affolantes de sex-appeal, qui vont vivre – et nous faire vivre – une lente et irrépressible montée du désir physique et sexuel à l’état pur, loin des luttes sociétales, dans ce désert
plus torride qu’aride qui fascine visiblement le cinéaste. Tout se passe comme si ce dernier, après avoir été témoin de l’état de l’Amérique, secouait la tête de dépit et détournait le regard
vers l’antithèse de ce déballage d’idées et de coups, vers son épure contraire. Que la fuite du héros se fasse en avion n’est en ce sens qu’un prétexte, pour effectuer de grands et hypnotiques
plans aériens sur un espace vierge de trace humaine ou s’autoriser un pastiche décalé de La mort aux trousses.

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Dans ce lieu hors du temps, hors du monde, la fusion des corps et des émotions plutôt que leur affrontement stérile devient possible. On assiste même à la fusion de tous les corps,
puisqu’une scène de sexe classique et attendue entre 2 personnes devient au fil du montage une orgie onirique et irréelle – don peut d’ailleurs penser que David Lynch s’est inspiré pour sa propre
scène de sexe dans le désert de Lost highway. Cette séquence de Zabriskie point est une preuve de plus du grand réalisateur qu’était Antonioni.
Elle pourrait être ridicule, elle est tout simplement belle et enivrante : moment fragile, en suspens, qui touche du doigt un absolu de jouissance intemporelle, passée, présente et à venir –
et qui comme toutes les plus belles scènes signées Antonioni (le jeu de tennis sans balle de Blow-up, le plan-séquence de Profession : reporter) représente qui plus est une réussite
atteignable uniquement par le cinéma à son plus pur.

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Mais cette épiphanie est éphémère. La société revient inexorablement dans le champ, sous la forme d’un contrôle anodin de police, puis rappelle à elle ses membres égarés pour les replonger
dans les brutales oppositions collectives. Comme dans le Profession : reporter qui suivra, la fin du récit, inexorable et douloureux retour sur terre après l’envol au 7è
ciel, décrit la victoire de l’ordre du plus grand nombre sur la rébellion de quelques individus. Mais dans le même temps, et de façon encore plus frontale ici que dans le film à venir (Antonioni
est alors en pleine période maoïste), il appelle de tous ses vœux la révolution. L’explosion absolue de tous les signes extérieurs de richesse de la société de consommation et de l’argent-roi sur
laquelle s’achève Zabriskie point, ainsi que le profond apaisement que cette dévastation génère, sont sur ce point on ne peut plus explicites. Et comme pour
Blow-up, comme pour Profession : reporter, force est de constater 40 ans plus tard qu’Antonioni a une nouvelle été visionnaire : le
consumérisme a gagné, mais l’espoir d’une autre voie n’en a pas été éradiqué pour autant.

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