• Un poison violent, de Katell Quillévéré (France, 2010)

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poison-3Où ?

Au MK2 Quai de Seine, dans une des deux grandes salles rendue presque déserte par l’horaire tardif, la pluie et le mois d’août

Quand ?

Mercredi soir, à 22h30

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

L’émergence des premiers émois charnels dans l’esprit et la chair des adolescents se trouve certainement dans la short list des thèmes les plus traités au cinéma – en particulier dans le cadre
d’un premier long-métrage. C’est le cas pour ce Poison violent, présenté au dernier Festival de Cannes comme le récemment chroniqué The
myth of the american sleepover
, avec lequel il partage un même emploi d’acteurs réellement jeunes (entre 13 et 15 ans). Ceux-ci peuvent ainsi exprimer directement par
leur physique en pleine mutation, incertain y compris pour eux-mêmes, une partie des troubles qui occupent leurs personnages. Avec son film, qu’est-ce que Katell Quillévéré est en mesure
d’apporter de neuf au genre ? L’ancrage du récit dans ses racines bretonnes, loin d’être uniquement cosmétique (les superbes paysages de lande et de vallons qui constituent ce Far West
sauvage), donne la réponse.

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La Bretagne est une région pieuse, et cette fidélité traditionnelle et collective à l’Église catholique est un carcan resserré autour des pensées et des désirs de l’héroïne du film Anna. Un
crucifix fixé au-dessus du tableau d’une salle de classe nous rappelle silencieusement que l’internat où elle fait ses études est un établissement religieux. Quant à ses week-ends et vacances
passés dans un village rural auprès de sa mère, ils sont essentiellement rythmés par les enterrements, les messes et les confessions, officielles ou improvisées, au prêtre. Les seuls personnes
proches d’Anna à échapper à l’emprise de la religion sont, symboliquement, dans une situation d’éloignement physique par rapport au village : son amie qui part dans le sud pour les vacances
et compte bien en profiter pour coucher avec le fils de la famille qui les accueille ; son père qui a quitté sa mère et est parti pour Quimper, la grande ville des environs ; son
grand-père, qui vit reclus dans sa chambre à l’étage de la maison de famille en attendant la mort. Par la peinture qu’elle fait de ces deux groupes (les « croyants » et les
« impies ») et les rôles majeurs qu’elle leur donne à jouer, la réalisatrice fait grandement monter les enjeux de son film. Il n’y est pas simplement question de la perte de virginité
d’une jeune fille considérée de manière terre-à-terre, mais de la bataille pour le gain de son âme.

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La religion harangue et intimide Anna à grands renforts de citations et de rituels solennels, avec comme point d’orgue la suffocante séquence de sa Confirmation, remarquablement filmée dans cet
esprit par Quillévéré – cadrages écrasants, son débordant, création par le montage d’une illusion de dialogue direct entre la jeune hésitante et l’évêque sévère. En face, le camp de la chair, de
l’impureté distille son prétendu poison de manière plus subtile, par une succession d’actes microscopiques plutôt que par un bombardement massif et répété à chaque fois dans son
intégralité. La figure la plus hédoniste ou démoniaque, selon le point de vue, est le grand-père qui ne cache rien de son goût pour la musique profane (des airs de variété où sont chantés l’amour
et la séduction) ni de son admiration des corps pour ce qu’ils sont. C’est lui qui triomphera au final, avec comme coup de grâce le fait de faire lire à Anna un poème égrillard au cours de ses
obsèques. Mais cette victoire n’aurait pu se concrétiser si ses banderilles continuelles n’avaient trouvé un écho dans l’humanité – ou les faiblesses, là encore c’est une question de point de vue
– des émissaires de la religion. C’est là que le réseau tissé patiemment par le scénario de Un poison violent porte ses fruits : en se détachant régulièrement
d’Anna pour voir de quoi sont faites les vies intimes de ses proches, il saisit leurs propres tâtonnements (le désir de la mère d’Anna pour le prêtre, entre autres) et expose l’écart entre les
sermons et la pratique.

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Le cheminement d’Anna pour trouver la place qui lui convient dans ce monde est essentiellement intellectuel, d’où le rythme languissant qui est celui du film et qui pourra en rebuter certains
sans qu’ils soient à blâmer. Même chose pour son caractère introspectif, qui le rend plus économe en mots que ce qu’un Rohmer pouvait faire de
sujets approchants, en prenant le parti d’une évolution par la conversation. Un poison violent est un film à prendre ou à laisser, car il est entier, absolu. Pour les
spectateurs qui le prennent, cette nature permet de passer outre les quelques défauts de surface (certains personnages secondaires entre deux eaux) et de se laisser à son tour séduire par une
belle et sensible méditation adolescente.

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P.S. : hasard du calendrier cinématographique, la chanson qui apporte la parfaite touche finale à Un poison violent, une reprise du standard
« Creep » de Radiohead par
Scala, soutient au même moment et avec la même évidence la bande-annonce du très attendu Social network
de  David Fincher  :

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