• Un acte de foi

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On ne soulignera jamais assez à quel point la liberté totale obtenue par les créateurs de Lost une fois la date de fin de la série fixée (à la fin de la sixième saison, décision
prise au milieu du tournage de la troisième) a complètement changé la face du show, ainsi que celle de l’univers des séries TV dans son ensemble. Un univers depuis lors surplombé par une
œuvre unique, au pouvoir d’évocation et de fascination inouï, tirant sans cesse le meilleur d’une autonomie qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs.

 


Débarrassée de l’obligation de plaire au studio, aux annonceurs, au « grand
public » qui pousse trop souvent les auteurs de films et de séries à s’en tenir au plus petit dénominateur commun, Lost explore désormais des territoires sauvages et
forcément excitants. Le carcan narratif (le concept des flashbacks, l’obligation tacite d’équilibrer le temps de présence et l’importance des différents héros…) et thématique – quand est-ce
qu’on rentre chez nous ? – ayant volé en éclats aussi sûrement que le bunker de la deuxième saison, tout est ouvert, tout est possible. Cela va d’approfondissements des personnages et du récit
mettant à contribution, toujours de manière extrêmement pertinente, des intervenants secondaires évoqués il y a longtemps, à des expérimentations scénaristiques que l’on n’aurait jamais imaginé
être menées si loin dans une œuvre à forte audience. Après l’exploitation – pas tout à fait close – ludique et dramaturgique du voyage dans le temps au début de la saison 5, après la problématique éthique de savoir si le
destin potentiellement dévastateur d’un être vaut qu’on le tue / laisse mourir tant qu’il est enfant dans deux récents épisodes, c’est désormais rien de moins que le thème de la résurrection qui s’installe au cœur des
péripéties lostiennes.

 

Initiée dans les épisodes 316 (le récit fait par Ben à l’attention de Jack de la vie de Saint Thomas) et The life and death of Jeremy Bentham (John Locke mort, puis revenant dans « le pays des
vivants »
), la réflexion atteint un – premier ? – apogée dans Dead is dead. Vendu comme étant centré sur Ben, l’épisode l’est en effet ; mais cela s’effectue au travers du
rapport de Ben à Locke, et à tout ce que le retour de ce dernier entraîne comme questionnements philosophiques et mystiques vertigineux. La performance habitée et inoubliable de l’acteur Michael
Emerson, et les répliques que les scénaristes lui allouent (la plus forte : « This is one thing to believe it, John ; but this is another thing to actually
see it ») mettent au premier plan de l’épisode le mélange d’extase et de terreur profonde qui accompagne un tel miracle. Depuis son irruption dans la série, il y a
de cela presque trois saisons, Ben était le détenteur des secrets, le grand manipulateur, « the man behind the curtain ». Et soudain, le voilà devenu le représentant du public
et de ses sentiments équivoques face au mystère John Locke, reproduction moderne du mystère fondateur de notre culture occidentale chrétienne. Le parcours de Ben dans cet épisode – du doute
incrédule et hautain à la rédemption qui ouvre sur la possibilité du pardon – ne concerne dès lors pas seulement un personnage spécifique, mais est celui d’un homme mis face à l’effondrement de
ses certitudes, et à l’obligation de les remplacer par l’humilité et l’abandon d’un acte de foi. Je précise qu’il n’est nullement question de prosélytisme dans cet épisode de
Lost, car il ne s’agit pas de croyance religieuse mais plus purement du concept de foi ; et du pari de conter comment fonctionne ce processus, depuis la réalisation d’un événement
qui nous semble impossible à l’acceptation de celui-ci.

 

P.S. : il faudrait un autre article pour rendre la même justice à la seconde jambe de l’épisode, cette description tellement inspirée et désarmante de l’usure du pouvoir, et de
l’aveuglement despotique que ce dernier provoque à la longue chez ceux qui le détiennent. Et cela, toujours au travers du personnage de Ben.

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