• Tokyo sonata, de Kiyoshi Kurosawa (Japon, 2008)

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Où ?

Au cinéma des cinéastes, dans la grande salle (plutôt pleine)

Quand ?

Dimanche après-midi

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Il y avait beaucoup de bonnes raisons d’aller voir Tokyo sonata. Des critiques globalement dithyrambiques, le Prix du Jury de la sélection parallèle du festival de Cannes
« Un certain regard », et plus fondamentalement la curiosité de voir un réalisateur spécialisé dans le film d’horreur (Kaïro, Charisma, le chef-d’œuvre
Cure) partir à l’assaut d’un genre très éloigné – le drame social. J’ai malheureusement trouvé un nombre tout aussi important de raisons de ne pas aimer Tokyo
sonata 
; la principale étant son scénario ressuscitant la mode des mélos outranciers produits à la chaîne par Hollywood dans les années 1940-1950, la plupart du temps autour
d’héroïnes féminines accablées par le destin, et interprétées par Joan, Crawford ou Fontaine.


Dans ce genre de film, les personnages sont initialement submergés de problèmes uniquement pour les voir disparaître de manière quasi-magique au cours du dénouement. Tokyo sonata
démarre ainsi sur le licenciement brutal de Ryuhei de son poste de directeur administratif d’une grande société suite à une délocalisation vers la Chine. Sur cette base de départ, la première
partie du film capte notre intérêt par sa description distante et menée au pas de charge (pas de haltes pour s’apitoyer sur le sort des personnages) du grand écart tenu par Ryuhei entre d’un côté
sa déchéance accélérée – passant ses journées à faire la queue à l’ANPE pour des offres d’emploi dégradantes, et mangeant à la soupe populaire – et de l’autre son statut de chef de famille
autocrate et sévère auquel il s’accroche coûte que coûte. Le maintien de ce statut est proprement impossible, le respect soumis dont font preuve à l’égard de Ryuhei sa femme et ses deux fils
étant étroitement corrélé à l’importance de sa position sociale et à l’argent qu’elle rapporte. La déconfiture n’est pas simplement celle d’un homme seul, mais de tout le système capitaliste
classique (l’homme travaille et commande, la famille révère et subit) qui trouve son expression la plus persistante au Japon. Le destin de Ryuhei est d’ailleurs intelligemment doublé de celui
d’une vieille connaissance du lycée, Kurosu, vétéran de la double vie par rapport à Ryuhei et qui lui donne quelques ficelles.


Kurosu finit malgré tout par se suicider, emportant avec lui sa femme et sa fille. Il est du côté de la froide réalité, celle que promènent souvent avec eux les personnages secondaires des films
n’osant pas aller au bout de leur sujet. Il en est ainsi de Tokyo sonata, et de son héros coincé dans une fiction qui lui veut du bien. Et qui se veut porteuse de sens, ainsi que
le démontre avec d’énormes sabots le personnage du fils aîné : rien ne vient le sauver de son artificialité de pur vecteur d’un questionnement sociologique grave sur la fascination des jeunes
japonais pour les USA, leur armée, la guerre. Quant aux autres membres de la famille, une fois atteint un semblant de point de rupture lors d’une dispute où ils en viennent aux mains, le scénario
place fort à-propos sur leur chemin une succession de péripéties pittoresques et hautes en couleur leur permettant in fine de se « retrouver ». Comme en plus Kiyoshi Kurosawa ne donne
jamais au travers de sa mise en scène l’impression de vouloir aller au-delà du script qu’on lui a mis entre les mains, de transcender ce dernier par une intensité, un désir de cinéma,
Tokyo sonata reste jusqu’au bout d’une neutralité quasi lénifiante là où l’effervescence du drame et de la pulsion de survie aurait dû consumer la pellicule. On boit le calice
jusqu’à la lie dans une scène finale édifiante, qui voit le fils cadet, révélé pianiste de génie autodidacte, endiguer par sa performance les malheurs de sa famille et la faire repartir sur des
bases nouvelles et assainies, sous les yeux d’un public massif et conquis. Cela faisait longtemps que l’on n’avait été mis devant cliché aussi éculé et indigent.

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