• Suspiria, de Dario Argento (Italie, 1977)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!

Où ?

A la maison, en DVD zone 2 (Wild Side)

Quand ?

Samedi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Dans un des nombreux suppléments accompagnant cette édition spéciale (et remarquablement remasterisée) du classique de l’horreur italienne Suspiria, son réalisateur Dario Argento
parle longuement de du concept initial du scénario, qui mettait des enfants aux prises avec le monde de la sorcellerie. L’idée en tant que telle fut rejetée trop violemment par le distributeur
pour être maintenue en l’état, mais elle reste suffisamment présente à tous les niveaux du film pour être nécessaire à la bonne réception de celui-ci. Toute la symbolique mise en place autour des
héroïnes danseuses (activité typique d’épanouissement de jeunes filles soumis à un contrôle strict) particulièrement enfantines dans leur physique, leurs relations avec les « adultes »
professeurs, leurs fantasmes et terreurs, perd alors une bonne partie de sa profondeur, voire de sa pertinence.


A contrario, une fois cette clé de lecture en la possession du spectateur, Suspiria atteint sa plénitude de conte de fées pervers. Chaque scène, qui ouvre une porte sur une vision
légèrement désaxée du monde, n’impressionne plus seulement formellement mais trouve également une place légitime dans l’ensemble cohérent assemblé pièce par pièce par Argento. La plupart des
autres bonus du DVD donnent intelligemment la parole aux complices du cinéaste sur ce coup, et leurs anecdotes et confidences enrichissent très certainement les visions à suivre du film. Le
décorateur Giuseppe Bassan parle ainsi de l’influence du dessinateur hollandais Escher, célèbre pour ses croquis de bâtiments jouant sur des illusions d’optique et impossibles à construire, sur
l’architecture interne de l’école de danse. En plus d’être labyrinthique, cette bâtisse est aussi organique : les portes en toile fine semblent se mouvoir seules, les murs diffusent d’eux-mêmes
des couleurs éclatantes avant même d’être touchés par une lumière. Bassan révèle également une idée finalement non retenue, qui aurait couronné cette incarnation du décor : donner à l’ultime
couloir, celui qui mène vers l’antre de la « Reine Noire », un aspect et une texture de veine humaine.



Perdues telles de vraies petites filles au cœur de ce lieu aux dimensions démesurées (voir les poignées de portes, volontairement trop hautes) et dont seules les adultes semblent maîtriser
l’organisation, les héroïnes doivent faire face à une deuxième phobie enfantine issue de l’incapacité à dominer le monde qui vous entoure à cet âge : la peur du noir. Ici, cette victoire cyclique
de l’obscurité sur la lumière se traduit de la manière la plus folle et la plus originale qui soit par une explosion de couleurs primaires dès qu’une scène n’accueille plus une source lumineuse.
D’immenses vagues rougeoyantes, bleutées, dorées submergent les personnages et les plongent dans une irréalité sur laquelle elles n’ont plus aucune prise, où elles ne sont plus que des victimes
en suspens. Le chef opérateur Luciano Tovoli, issu avant ce film d’une culture « réaliste » (Profession reporter avec Antonioni), revient avec délice
sur les différentes techniques employées pour parvenir à ce résultat spectaculaire d’un « happening de couleurs n’ayant plus rien à voir avec l’éclairage d’un film » -
pellicule très peu sensible (qui offre également une grande profondeur de champ), contrastes poussés au maximum.


Une dernière contribution inoubliable participe à faire de Suspiria ce chef-d’œuvre éblouissant : la « musique » composée, au bout d’une séance d’enregistrement longue
de trois mois, par le groupe Goblin. Il serait plus judicieux de parler d’un assemblage de sons hétéroclites et angoissants, élaboré à partir de samples d’instruments ethniques aux sonorités
rarement entendues, de jeux sur les modulations de voix et de dizaines d’autres choses encore. C’est la langue des sorcières, qui prend le pas sur l’élocution humaine quand leur emprise s’étend
et se conclut par les meurtres sanguinolents de ceux et celles qui se dressent en travers de leur chemin. À travers ces tableaux et hallucinations vues par le point de vue d’un enfant, c’est un
récit d’initiation étrange que tisse Argento, comme un exorcisme contre sa propre éducation traumatisante dans une école catholique. Pour l’héroïne, vaincre les sorcières / adultes, c’est par un
chemin tordu et mémorable comme seuls les grands films d’horreur savent en prendre, devenir soi-même adulte.

Les commentaires sont fermés.