• Substitute, de Fred Poulet & Vikash Dhorasoo (France, 2006)

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Où ?
A la maison, en DVD zone 2 Wild Side (après l’avoir déjà vu lors de son fugace passage en salles à l’automne 2007)

Quand ?
Le week-end dernier

Avec qui ?
Seul

Et alors ?

Substitute est un film qui se présente à nous d’une manière on ne peut plus modeste. D’une durée plus proche de celle d’un moyen-métrage (à peine 1h10), réalisé à l’aide de
caméras préhistoriques – une Super 8 sans prise de son et une 16mm – et ne contenant que 2 personnages qui tiennent également les rôles de cadreurs, il s’articule autour d’une idée de départ très
passive : que le footballeur français Vikash Dhorasoo, appuyé par son ami vidéaste Fred Poulet, filme sa participation à la Coupe du Monde 2006 en Allemagne, sans savoir ce qu’il va y
trouver. Et pourtant, au final, Substitute est un condensé inouï de cinéma, un exemple éclatant de ce qui rend cet art si puissant et malléable à toutes les matières et à toutes
les situations. Le minimalisme de l’installation et l’absence de trame à faire avancer rendent le film poreux à tout ce qui l’entoure – à savoir le grand vide sur lequel repose, vu de
l’intérieur, le plus grand événement sportif planétaire. Comme Dhorasoo le dira vers la fin, la finale regroupe 80000 spectateurs et des centaines de millions de téléspectateurs autour d’une
vingtaine de joueurs / acteurs. Lesquels ne sont actifs que pendant 90 minutes tous les 5 ou 6 jours ; le reste du temps, ils ne font rien ou presque.

Dès les 1ères images, Dhorasoo nous a mis dans sa poche par son air sympa, sa curiosité d’esprit et son recul vis-à-vis de son métier qui s’exprime au travers de 2 monologues réfléchis et
pertinents sur son adolescence au Havre et sur les sifflets du Stade de France. Une fois enfermé dans le château où l’équipe de France a élu domicile pour la durée de la compétition, il nous
ravit de son regard piquant sur cet univers surréaliste, entre colonie de vacances pour écoliers de primaire et service militaire : chambres immenses pour une seule personne, couloirs
anonymes et oppressants, grands murs d’enceinte et vigiles pour empêcher toute intrusion de l’extérieur, emploi du temps journalier pointilleux et couché par écrit…  Repoussé en dehors des
grilles du château, et interdit par la FIFA d’utiliser des images des matchs, Fred Poulet en rajoute une couche dans l’irrévérence en filmant son logeur allemand réparant sa caméra ou bien en
transformant une rencontre avec Dhorasoo en pseudo rendez-vous d’espions.

Le rejet des matchs en dehors du champ du film devient la clé de celui-ci à mesure que la France gravit les étapes vers la finale – et que Dhorasoo, joueur majeur du dispositif de l’entraîneur
Raymond Domenech avant la compétition, se voit relégué au fond du banc de touche sans explication ni espoir de retour en grâce. Le spectateur et le personnage principal se retrouvent alors dans
la même situation absurde : une Coupe du Monde de football, sans football à se mettre sous la dent. Substitute rencontre alors son sujet, et le cinéma vient occuper la place
laissée vide par l’absence de sport. Cela passe tout d’abord par une étouffante introspection solitaire, avec à nouveau des monologues intelligents et impudiques où Dhorasoo traverse et affronte
tous les états d’âme. Puis il ose de plus en plus sortir sa caméra, et se transforme alors pour de bon en héros tragique doublé d’un cinéaste inspiré, qui prend conscience des potentialités de la
mise en scène (cadrage, mouvements de caméra…) et les assimile en accéléré pour aboutir aux séquences remarquables qui entourent la 1/2-finale et la finale, avec plongée au cœur des vestiaires
victorieux et vaincu pour cet ultime match. Démarré sous la forme d’un collage d’instantanés éphémères, Substitute devient dans sa dernière ligne droite pensé en scènes cohérentes
et qui font toutes mouche. L’épilogue s’inscrit ainsi complètement dans des codes de fiction, dans la forme – un plan-séquence dont l’on sent qu’il a été réfléchi en amont de son tournage – et
sur le fond, avec le retour du héros parmi les siens après son parcours rempli d’épreuves et d’embûches.

Les 2 scènes coupées intégrées au DVD (la réception post-Coupe du Monde à l’Élysée, et une réflexion sur l’évolution interne de l’équipe de France pendant les mois qui ont précédé le film)
confirment ce degré de maîtrise atteint au bout de l’aventure par Poulet et Dhorasoo. Elles avaient donc tout à fait leur place dans le film, mais en ont sûrement été retirées en raison de leur
caractère trop polémique. Le déjeuner à l’Élysée capte crûment les hiérarchies au sein de l’équipe, les joueurs étant répartis par tables « de niveau » – Zidane, Henry et les autres
stars avec Chirac à la table d’honneur, et les seconds couteaux rejetés par petites grappes en périphérie. Quant au discours sur l’équipe de France et la prise de pouvoir des faux retraités en
2005 (Zidane, Thuram et Makelele sont revenus de leur propre chef en sélection, et ont à partir de là imposé leurs choix à Domenech avec les autres vainqueurs de 1998), il se transforme en
revanche de Dhorasoo cinéaste sur la situation vécue par Dhorasoo joueur, principale victime de ce putsch des anciens. Les paroles acerbes et sans concession qu’il prononce sont en effet montées
sur les images de l’expulsion stupide de Zidane en finale…

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