• Slashers !!! (Black Christmas de Bob Clark, 1974 ; et Haute tension d’Alexandre Aja, 2002)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2

Quand ?

Ces deux dernières semaines

Avec qui ?

Seul (et tard le soir, brrrrr)

Et alors ?

Black Christmas est reconnu comme étant « le » premier slasher – ce qui lui vaut son édition en DVD zone 2 par Wild Side, dans la collection « Les
Introuvables ». Pour ceux qui se demandent ce qu’est précisément un slasher, la réponse est simple : c’est un film d’horreur dans lequel un tueur sanguinaire – souvent de sexe
masculin et désaxé mentalement – poursuit un groupe de victimes potentielles – souvent jeunes, et souvent isolées pour une raison quelconque du reste du monde – pour les supprimer – souvent à
l’arme blanche, d’où le nom du genre dérivé du verbe to slash. Les deux plus célèbres représentants du genre sont Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper et
Halloween de John Carpenter ; et le plus récent est l’anglais Eden lake.


Une fois ce petit rappel historique effectué, il est temps de passer au cas de Black Christmas. Lequel ne se contente pas d’avoir été le premier, puisqu’il est aussi – et toujours
– l’un des meilleurs. Cela grâce à deux qualités primordiales : il ne s’appesantit pas sur une quelconque pseudo-justification de la personnalité et de la présence du tueur, et il sait jouer
à merveille avec la durée de l’action en la dilatant à l’envie. Sans raison autre que celle de faire languir le spectateur, il se passe ainsi 24 heures entre le premier meurtre du tueur (caché à
l’insu de tous et toutes dans le grenier d’une résidence d’étudiantes) et le suivant. Mieux encore, ces crimes et les suivants ne seront jamais découverts par la police ou les amies des victimes
– ces dernières sont maintenues à l’état de « disparues », par le fait d’une grande perversité du réalisateur qui rompt là le lien de connivence entre le spectateur et les héroïnes
pourchassées. Notre point de vue n’est pas amalgamé au leur (ce qui est d’ordinaire la norme), nous sommes repoussés à l’état d’observateur neutre, en retrait ; voyant ainsi certaines
séquences telles celles de recherche d’une « disparue » se dérouler en sachant qu’elle n’a aucune chance d’aboutir. Pire, certaines séquences – géniales – nous mettent dans la peau du
tueur en suivant ses faits et gestes en vue subjective, et ce dès l’ouverture du film. Black Christmas fait de nous alternativement la victime et l’assassin.


Ce rejet de tout système de valeurs franc se propage dans tous les aspects du film. Tout y est menaçant, déséquilibré, de la psychologie des personnages – étudiante subversive, responsable de
résidence alcoolique, petit ami aux brusques accès de rage – à la bande-son, remplie de bruits inquiétants et de voix distordues. La maison qui sert de cadre au massacre tient également une place
de choix dans la réussite du film, par sa décoration et son agencement bizarres (et très bien accentués par les choix de cadrages). Sans jamais hausser le ton, ni recourir au moindre effet
facile, Bob Clark nous maintient dans un état de tension extrême d’un bout à l’autre, jusqu’à un dernier plan « tranquillement » tétanisant ; peut-être le final le plus réussi de
toute l’histoire du genre.


C’est presque le même schéma qui se trouve à l’œuvre dans une autre grande réussite plus récente, le français Haute tension – seul représentant national acceptable du genre. Le
tueur est là aussi « immédiat », il constitue une présence irréductible à l’introspection, un prétexte et non une explication à l’irruption de l’horreur sous sa forme la plus pure. Le
choix du réalisateur Alexandre Aja et de son coscénariste Grégory Levasseur est l’exact opposé de celui de Boc Clark pour Black Christmas : chez eux, cette horreur va
s’exprimer dans un déluge de gore explicite. Black Christmas imposait un double châtiment aux victimes en empêchant qui que ce soit de découvrir leurs cadavres ;
dans Haute tension, c’est le supplice accompagnant leur mise à mort (les armes tranchantes pénètrent en profondeur dans les chairs, quand elles ne les scindent pas purement et
simplement) qui interdit toute atténuation a posteriori de l’horreur survenue dans leurs vies. Dans un film comme dans l’autre, le résultat est identique – un effroyable cauchemar éveillé, qui
met à nu les pires pulsions dans la neutralité la plus absolue.


Un autre aspect sur lequel Haute tension est le symétrique – tout aussi efficace – de Black Christmas est le traitement du temps, modelé selon les envies du
réalisateur. Haute tension contracte la durée de l’action, sur quelques heures d’une nuit d’été ; un choix on ne peut plus cohérent de celui fait de pousser au maximum le
curseur vers l’horreur graphique et sanguinolente. L’une et l’autre de ces décisions provoquent un effet d’emballement fou, décadent, une accélération constante que rien ne vient stopper – au
contraire de Black Christmas, où rien ne venait justement accélérer le faux-rythme du scénario, qui jouait en défaveur des victimes passées ou à venir. Black
Christmas
ne nous laissait jamais véritablement rentrer dans le vif du sujet ; Haute tension nous interdit d’en sortir, ne serait-ce que le temps d’une respiration.


Le soin apporté à la musique réellement oppressante, aux cadrages millimétrés, au montage volontairement nonchalant, qui ne nous épargne rien, joue également un grand rôle dans la réussite de ce
second film. Quant à son épilogue, il s’agit d’un tour de force abrupt et imprévisible, qui donne une toute autre dimension à ce qui ne semblait être qu’un enchainement virtuose de morceaux
gore de premier choix. Bien qu’elle ne soit pas exempte de quelques défauts de cohérence, cette conclusion a pour elle une impétuosité et une immédiateté qui marquent durablement.

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