• Sin nombre, de Cary Joji Fukunaga (USA-Mexique, 2009)

Je like cet article sur les réseaux sociaux de l'internet!



Où ?

Au MK2 Odéon

 

Quand ?

Jeudi soir, après un cafouillage sur l’horaire d’un autre film à la Filmothèque du Quartier Latin (Traître sur commande)

 

Avec qui ?

Une amie cinéphile

 

Et alors ?

 

Ses origines japonaises n’empêchent pas Cary Fukunaga d’être un américain de souche, né et élevé à Oakland, au nord de la Californie. Et sa nationalité américaine ne l’empêche pas, pour son
premier film, d’aller se poster à la frontière de son pays, le regard fixé sur ce qui se trouve au-delà. Sin nombre est une histoire d’immigration clandestine de l’Amérique
Centrale (certains personnages viennent du Honduras, d’autres les rejoignent au Mexique) vers l’eldorado des USA, mais dans laquelle ce dernier pays n’est qu’entrevu en toute fin de métrage,
l’espace de quelques plans sur le parking d’un centre commercial quelconque. C’est qu’avant même d’atteindre le pays riche convoité et de devoir y faire face à la suspicion et au mépris des
locaux, les migrants rencontrent déjà l’enfer en chemin lorsqu’ils se retrouvent livrés aux gangs, passeurs et racketteurs en tous genres. Mettre des images sur cette réalité, et faire ainsi
barrage aux gouvernements qui laissent entendre que migrer illégalement vers les pays développés est presque aussi simple que d’en être expulsé d’un coup de charter, est une qualité évidente de
Sin nombre. C’est toutefois – et heureusement – loin d’être la seule, l’œuvre réussissant comme son récent cousin européen Welcome à ne pas perdre de vue qu’un bon film à message
se doit avant tout d’être un bon film tout court.

Fukunaga réalise un quasi sans-faute sur les deux clés de voûte d’un long-métrage, dont il est ici le seul responsable : le scénario et la mise en scène. Dans Sin nombre, il
s’attache d’un bout à l’autre et avec intelligence à entremêler la dangereuse traversée du Mexique par un trio de honduriens (la jeune Sayra, son père et son oncle) avec des luttes de pouvoir et
de vengeance au sein d’une bande mafieuse du pays, la « Mara ». La force de l’écriture de Fukunaga nous heurte de plein fouet à au moins deux reprises, deux chocs dont l’impact est
d’autant plus vif que le cinéaste les échafaude minutieusement, à l’ombre du récit et dans la durée ; quand il fait se rejoindre les destinées de ses deux héros Sayra et Willy, un banni de la
Mara, et lorsqu’il révèle en bout de course que cette connexion n’a réellement existé qu’aux yeux des deux concernés. Le reste du monde, y compris les proches de l’une et de l’autre, n’en a cure
et n’y verra jamais une histoire, pas même une anecdote. Le lien entre le couple (platonique) central et le spectateur est à la fois privilégié, car nous sommes les seuls conscients de leur
aventure qui n’existe en définitive que par le cinéma, et extrêmement ténu puisque pouvant être brisé par chaque nouvelle péripétie qu’ils endurent.

Sin nombre ne détourne pas le regard de la violence graphique de ces dangers – au contraire, il expose ces rackets, ces viols, ces meurtres et ces chasses à l’homme dans toute
leur abjection. Mais ce qu’il montre comme étant le pire des supplices à supporter est le fait qu’une fois que l’on n’a plus aucune attache avec une famille, un clan, un environnement, en bref
une fois que l’on vient grossir les rangs des « sin nombre », il est impossible d’anticiper sur ce qui va se mettre en travers de votre chemin, y compris dans la minute à
venir. Fukunaga exprime cela par une remarquable transposition de cette impuissance, sur le plan cinématographique puisque son film n’appartient lui non plus à aucun genre précis. Il avance avec
ses personnages vers leur but, la frontière américaine, juché avec eux sur le toit d’un wagon de train de marchandises, et ne se rend compte qu’il traverse les territoires du mélodrame social ou
du film de gangsters que lorsque les tragédies dont se nourrissent ceux-ci viennent le dévier de sa route. Comme Sayra et Willy nous nous trouvons impuissants à prévoir leurs malheurs, nous ne
pouvons qu’y réagir sans avoir pu bénéficier d’aucun temps de préparation.

L’autre réussite marquante de Fukunaga réside dans sa mise en images de ce récit violent et désespéré. Il ne cherche pas à faire « vrai » – ce qui est souvent le meilleur moyen de
sonner faux – mais à faire « fort », impressionnant. Que ce soit celle imposante et authentique des paysages ou celle fabriquée à coups de superbes clairs-obscurs et autres éclairages
exacerbés pour servir d’écrin aux aventures des personnages, la beauté qu’il convoque intensifie le drame sans nous écraser sous son poids. Elle le fait surgir à vif, déborder par tous les
éléments du cadre. Ce bouillonnement, cette tempête permanente à l’œuvre donne à Sin nombre une qualité de poème sauvage, éperdu qui nous surprend et nous prend à la gorge. Et
au-delà (et à l’opposé de la dégradation que ses héros doivent subir), une identité que rien ni personne ne pourra venir lui retirer.

 

Les commentaires sont fermés.