• Shutter Island, de Martin Scorsese (USA, 2009)

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shutter-4Où ?

Au Max Linder, où le film est donc celui qui met fin aux deux mois de présence d’Avatar

Quand ?

Dimanche soir

Avec qui ?

MaFemme et mon amie cinéphile

Et alors ?

 

Un avertissement, pour commencer : ne vous déplacez pas pour aller voir Shutter Island si vous avez déjà lu le roman d’origine de Dennis Lehane, ou l’adaptation en bande dessinée
qui en a été faite par Chrstian de Metter. Connaître à l’avance le fin mot du mystère ôte en effet la seule raison potentielle – mais pas garantie – de suivre avec un minimum d’intérêt le
résultat de la dernière collaboration Scorsese – DiCaprio, la quatrième de suite. Le roman souffrait déjà d’un léger sentiment d’arnaque qu’il créait chez le lecteur, apprenant dans les toutes
dernières pages la futilité de ce qu’il avait pris le temps de lire plusieurs heures durant. Mais l’ambiance morbide et obsédante instaurée par le verbe de Lehane au fil des scènes ne se laissait
pas balayer si facilement, et était au final suffisamment marquante pour rééquilibrer la balance. Cette atmosphère d’angoisse, ayant un pied dans la réalité et l’autre dans le cauchemar, on la
retrouve à son meilleur au cours de l’introduction du film, dans le sillage d’un premier plan étourdissant – la lente sortie du brouillard, vue de face, du ferry amenant les deux U.S. Marshals
vers Shutter Island.

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Shutter Island et son asile de psychopathes dangereux, dont l’une des pensionnaires se serait évadée de sa cellule fermée de l’extérieur, aux fenêtres condamnées et entourée d’un nombre
conséquent d’infirmiers et de gardes armés. Autant dire qu’une fois les présentations faites entre les deux marshals et le personnel et les locaux de l’asile, aussi peu avenants les uns que les
autres, l’enquête tourne assez vite court. L’impossibilité flagrante des faits avancés par le directeur, mais aussi la mauvaise foi tout aussi évidente des personnes que les marshals convoquent
pour interrogatoire et l’équilibre mental précaire de l’un des deux, le héros Teddy Daniels (DiCaprio), entravent tout progrès significatif et déclenchent une myriade de pistes parallèles et
contradictoires. Même les conditions climatiques s’en mêlent, avec la survenue d’une tempête bloquant des voies (les communications avec le monde extérieur) et en ouvrant d’autres – la panne
d’électricité qui permet de pénétrer le bloc C, celui des détenus les plus redoutables.

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Loin d’être un atout, cette prolifération devient une surcharge qui brise le rythme du récit. Cinéaste du mouvement fiévreux, de la fuite en avant survoltée, Scorsese est incapable de s’adapter à
ce surplace imposé. Sans élan lui permettant de débouler d’une scène à l’autre, sa mise en scène qui ne sait être autrement que rugissante et fracassante conduit ici à un résultat heurté, jamais
convaincant dans la durée. Les séquences qui s’enchaînent ont beau se vouloir toutes aussi visuellement impressionnantes, seules certaines y parviennent telle la visite des escaliers et couloirs
délabrés du bloc C, durant laquelle un frisson d’effroi s’installe effectivement en nous. Mais la plus grande partie du temps, Scorsese assaille nos sens sans discernement plutôt que d’afficher
l’application et la patience nécessaires à la mise en place d’une ambiance haletante, inquiétante – l’équivalent cinématographique de celle qui prévaut dans le roman. Comme en prime le scénario
regorge d’éléments abracadabrants (Teddy qui escalade et descend les falaises à pic comme qui rigole…) avant de s’abîmer dans un épilogue interminable qui tient à nous raconter en détail
le-pourquoi-du-comment-de-la-vérité-qui-nous-avait-été-cachée-jusque-là, le film n’échappe au grand-guignol que par la grâce des performances de sa star, remarquable dans sa graduation des
différents stades de la folie, et des seconds rôles qui l’entourent : Ben Kingsley, Max Von Sydow, et le trop rare Mark Ruffalo.

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Cette limite de Scorsese qu’est son inhabileté à ralentir le rythme, à être plus psychologique qu’énergique – à être résolument dans le domaine du crédible, en quelque sorte [une limite qui, en
aparté, fait peut-être de lui le plus américain des réalisateurs], n’est pas nouvelle. Ne serait-ce que récemment, c’est déjà elle qui alourdissait Aviator. Elle devient
particulièrement embarrassante dans Shutter Island car le cinéaste s’y aventure sur des terrains complexes et glissants. Il a sans doute cru voir dans certains thèmes qui
nourrissent l’arrière-plan de l’intrigue le matériau de base d’un « grand » film : une théorie du complot brassant tous les fantasmes sur la face sombre de la démocratie américaine, le
souvenir des camps de la mort nazis qui hante le héros. Scorsese donne à ces aspects une place presque centrale dans son adaptation. Mais sur la portée du propos politique faisant de l’asile une
métaphore des terreurs et fantasmes des USA, son film n’arrive pas à la cheville du Shock corridor de son mentor Samuel Fuller ; et sur la
représentation des camps, il sombre dans l’obscène. Incapable d’aller contre sa nature spectaculaire, ne serait-ce que le temps d’un plan, Scorsese ne se contente pas d’enregistrer l’horreur. Il
la met en scène, en zoomant sur des cadavres de juifs ou en partant dans un travelling plan-séquence pour couvrir l’exécution sommaire des gardes du camp par les soldats américains. Quand en plus
on apprend (léger spoiler) que cette exécution n’a peut-être eu lieu que dans l’esprit de Teddy, la moralité du procédé en devient encore plus critiquable.

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