• Redacted, de Brian de Palma (USA, 2007)

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Où ?
Au MK2 Bibliothèque, où une avant-première (le film sort en salles en février prochain) avait lieu dans le cadre du festival « Cinéma en numérique » co-organisé par les Cahiers du Cinéma.

 


Quand ?

 

Mardi matin

 


Avec qui ?

Seul, dans une salle pleine de 200 personnes déçues que De Palma, originellement prévu, ne soit pas venu en personne, mais dont la plupart sont tout de même restées après la projection pour
discuter du film. Une telle démarche permet de clarifier les idées de chacun sur une œuvre qui pose énormément de questions et peut donc provoquer énormément de polémiques pas forcément justifiées,
et dans un monde idéal elle accompagnerait chaque projection.

 


Et alors ?

 
 

A l’occasion de la sortie du Dahlia noir, j’avais écrit un portrait de De Palma (reproduit target="_blank">ici) que je concluais sur ces mots : « De Palma paye son refus de contenir ses pulsions par l’absence d’une reconnaissance académique en tant qu’artiste majeur de son
temps. Ce qui n’est pas forcément pour déplaire au bonhomme, qui peut ainsi continuer à n’en faire qu’à sa tête avec sa caméra – et, de temps en temps, se rappeler au bon souvenir des gens en
faisant l’effort de réaliser un film qui met tout le monde d’accord ». Je ne croyais pas si bien dire… sauf que le film coup de poing en question ne va – et ne veut – mettre personne
d’accord. En 2007, plusieurs réalisateurs américains se sont demandés comment réinventer l’art de raconter une histoire. Ils l’ont fait en changeant de camp (Eastwood), en racontant leur histoire
deux fois (Tarantino), en faisant du pur théâtre (Friedkin), ou encore en plongeant entièrement dans la tête de leur héros (Van Sant). Pour De Palma, la solution est plus radicale encore, et
passe par la contre-attaque contre ce que l’on annonçait comme le fossoyeur du cinéma, à savoir Internet et ses sites de vidéos partagées.

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Redacted raconte son histoire de faux documentaire à partir d’images soi-disant récupérées sur le web, et dont les provenances multiples – blogs, Youtube, journaux tv –
structurent la dramaturgie (simple, évidente) : un attentat à la mine antipersonnelle est ainsi conté via un « montage alterné » entre images de sites américains et irakiens, plus tard c’est un
rapt de soldat dont la puissance repose entièrement sur le côté soi-disant amateur et réel de sa captation. On savait déjà que ce n’était pas le pourquoi mais le comment d’une histoire qui
intéresse depuis toujours De Palma, on en a avec Redacted une preuve presque caustique : le scénario reconstitué à partir de ces bouts d’images disparates est un
décalque fidèle de Outrages, réalisé par le même De Palma en 1989 et traitant déjà du viol d’une jeune civile par des soldats américains, au Vietnam cette fois-ci. Pour
le cinéaste, la surproduction et la surdiffusion actuelle d’images à l’échelle mondiale serait donc telle que l’on peut recréer n’importe quelle histoire déjà racontée rien qu’en allant piocher à
sa guise sur la toile. Mais derrière l’ironie de cette idée déjà forte du « remake par soi-même mais sans se citer » (puisque toutes les séquences sont censées avoir été tournées par
d’autres que De Palma) se cache un cri de réveil. Les exactions militaires sont certes toujours les mêmes de conflit en conflit – De Palma est trop malin pour ne pas vouloir aussi dire cela en
reprenant un script vieux de 18 ans), mais la guerre en Irak est la première où les images sont disponibles aux yeux du monde entier en même temps que les évènements ont lieu, sans avoir à
attendre le devoir de mémoire à retardement de la fiction. Alors arrêtons de tourner autour du pot à coups de Dans la vallée d’Elah ou de Lions et
agneaux
et montrons ces images, aussi dérangeantes et crues soient-elles, hurle le réalisateur derrière sa non-caméra.

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Cependant une question se pose : que peut alors encore le cinéma ? La réponse, comme De Palma nous l’a assez enseignée, est que le cinéma rend le conte « parfait ». Non seulement il
l’embellit (Redacted nie la provenance « bâtarde » des images et en tire du vrai beau cinéma : filmage en HD, lumière et accompagnement sonore très
soignés), mais surtout il la complète par LA scène manquante, celle du viol. Insérée au forceps dans le dispositif, cette scène insoutenable ne peut exister en dehors de la fiction – ou alors on
appelle cela un snuff-movie – et pourtant sans elle il manquerait la preuve du crime des soldats, et il ne resterait que les conjectures d’avant et les témoignages d’après l’acte. L’invasion des
images dans notre vie et la manipulation qui s’en suit force donc De Palma, après 30 années passées à prêcher le contraire, à nous enjoindre à croire en le cinéma pour faire éclore la vérité et
les scandales. En retournant ainsi sa veste, tout en restant fidèle à ses thématiques préférées et dérangeantes (dissection des frustrations sexuelles, des rapports de domination entre les êtres,
regard désabusé sur la société), De Palma a sans aucun doute vu juste si l’on en croit les premières réactions haineuses aux USA (lire cet article – en anglais – par exemple).

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