• Public enemies, de Michael Mann (USA, 2009)

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Où ?

À la cinémathèque, en avant-première pour l’ouverture de la rétrospective consacrée au cinéaste, en sa présence et dans une projection numérique idéale

 

Quand ?

Jeudi soir

 

Avec qui ?

Seul (mon compère de cinémathèque n’a pas pu avoir de place, celles-ci étant parties en vingt minutes après l’ouverture des réservations)

 

Et alors ?

 

Michael Mann avait jusqu’à présent un seul film d’époque à son actif, Le dernier des Mohicans. C’était en 1992, et presque dans une autre vie puisque datant d’avant la
métamorphose du cinéaste en figure de proue du numérique HD. Après avoir expérimenté cette nouvelle forme de cinéma sur Ali, Mann lui a offert ses lettres de noblesse avec les
deux merveilles plastiques – entre autre choses ; scénario et direction d’acteurs sont eux aussi de haute tenue dans les deux œuvres – que sont Collateral et Miami
Vice
. Comme Mann ne reviendra sûrement jamais à la pellicule 35mm, Public enemies porte la prouesse technique à un niveau encore plus excitant : combiner l’ultra-réalisme
du filmage en numérique et la reconstitution historique, du Chicago de 1933. Au vu de la bande-annonce (ici, par exemple), il y avait de quoi anticiper un nouvel orgasme visuel.

Celui-ci est bel et bien au rendez-vous. Tel un Roger Federer de la mise en scène (oui, la finale marathon de Wimbledon était en cours pendant l’écriture de cette critique), Michael Mann ne se
contente pas film après film d’assurer son statut de faiseur d’images hors pair ; il rehausse à chaque fois la barre de plusieurs crans. Collateral réinventait le concept même de
film nocturne, Miami Vice nous donnait à voir notre monde occidental contemporain avec un degré de netteté et de précision vertigineux ; Public enemies fait de
même mais pour un univers factice, réédifié dans son intégralité par le savoir-faire hollywoodien. Mann sait incontestablement tirer le meilleur de la résolution sans cesse affinée de ces caméras
HD, ici pour faire apparaître à l’écran une brume nocturne à la fois palpable et évanescente (réelle, donc), là pour filmer au ras de l’herbe une poursuite dans un verger étincelant ou pour
éclairer les visages des comédiens par les crépitements de dizaines d’ampoules-flashs. Aux côtés de ces détails ahurissants de beauté, les motifs habituels du réalisateur servent également son
ambition formelle. Les nombreuses scènes de groupes, les plans captés au plus près des personnages avec un arrière-plan largement visible, les séquences qui s’étirent dans la durée et par
conséquent dans l’espace, déboulant d’un décor à l’autre, contribuent à nous immerger pleinement dans cette période et ce lieu de l’Histoire. Ou plutôt dans cette course-poursuite entre un flic
(Christian Bale – Melvin Purvis, première star médiatique du FBI) et un gangster (Johnny Depp – John Dillinger, braqueur de banque et ennemi public n°1 de l’époque) ; car la Grande
Dépression qui frappe les Etats-Unis dans ces années 1930 pourrait difficilement moins intéresser Michael Mann.

La supplique initiale d’une femme de fermier à Dillinger (« Take me with you », que je quitte cette existence misérable) restera en effet sans filiation. Idem pour l’histoire
d’amour entre Dillinger et la jeune et fauchée Billie Frechette (Marion Cotillard), qui part sur des bases comparables à celle qui liait les personnages de Colin Farrell et Gong Li dans
Miami Vice (et qui entraînait le film tout entier sur une voie imprévue) mais dont les principaux développements semblent avoir été abandonnés sur la table de montage – dommage
pour Marion Cotillard, très à son aise dans les quelques scènes qui lui restent. Délesté de ces deux axes annexes, Public enemies en est réduit à rejouer la partition mécanique et
désincarnée de Heat. N’ayant que moyennement goûté celui-ci la dernière fois que je l’ai vu (voir ma chronique ici), je ne suis certainement pas le mieux placé pour apprécier le
nouvel opus de Mann. Mais même en prenant Heat comme référence, Public enemies lui est inférieur.

Le squelette des deux récits est étonnamment ressemblant, avec une confrontation verbale à mi-film entre les deux adversaires, qui ne se recroiseront que lors du règlement de comptes
final ; une très longue scène de fusillade qui décime la plupart des seconds couteaux ; le poncif du « dernier gros coup avant la retraite » qui causera par ricochet la
perte du gangster… Il n’y a pas forcément de mal en soi à refaire peu ou prou deux fois le même film (cf. De Palma avec Outrages et Redacted), si cela sert un but et ne ressemble pas
plutôt à un manque d’inspiration comme c’est le cas ici. D’autant plus que le manque de profondeur et d’ambiguïté du duo principal aggrave le problème. Dillinger et Purvis sont plus jeunes que
leurs prédécesseurs de Heat (ils n’ont du coup pas à subir le poids des années, qui donnait tellement de gravité au duo De Niro / Pacino), et surtout ils sont presque
exclusivement réduits à leur fonction professionnelle, à leur routine rebattue du jeu du chat et de la souris. On ne ressent dès lors pas grand-chose pour eux – en particulier pour Purvis/Bale,
absolument transparent.

Mann tombe par ailleurs dans un piège semblable à celui rencontré par Eastwood avec L’échange (et pas seulement car il affuble certaines scènes de jour d’un filtre ocre complètement éculé). L’un comme l’autre accordent une
importance bien trop grande à la fidélité à l’histoire vraie qu’ils racontent, comme si la méticulosité de la reconstitution historique visuelle devait également s’appliquer au scénario. En ne
nous épargnant rien des détails factuels de cette chasse à l’homme (Dillinger a braqué telle banque tel jour précis, son butin se montait à cette somme au dollar près, sa fiancée s’est faite
torturer par tel flic…), Mann étouffe tous les foyers de fiction qu’il tente par ailleurs d’allumer – la très belle et absolument irréaliste séquence où Dillinger pénètre dans les locaux de la
task force lancée à ses trousses, et étudie tranquillement les photos et documents de l’enquête. En conséquence de quoi, ses personnages sont réduits au statut de pions rejouant
l’Histoire au lieu d’êtres vivant leur histoire.

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