• Policier, adjectif, de Corneliu Porumboiu (Roumanie, 2009)

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adjectif-3Où ?

A l’Espace Saint-Michel

Quand ?

Samedi après-midi, à 17h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Corneliu Porumboiu s’était révélé à la planète cinéphile avec son décapant 12h08 à l’est de Bucarest, qui lui a valu la Caméra d’Or (récompensant le meilleur premier
film) à Cannes en 2006. Son deuxième long-métrage est singulièrement moins burlesque et plus âpre dans son observation des idéologies dominantes au sein d’une société, à travers le comportement
d’un échantillon de citoyens. L’aridité de la forme de son cinéma s’en trouve d’autant plus évidente, car mise à nu sans rires pour l’adoucir. Avant que démarre le débat loufoque sur les
agissements de chacun le jour de la chute de Ceausescu, 12h08 à l’est de Bucarest comprenait déjà son lot de plans fixes et/ou n’enregistrant qu’une activité très
limitée de la part des individus observés. Le but de Porumboiu étant d’intégrer par ce geste la véritable dimension de l’espace et du temps dans lesquels ses protagonistes évoluent – ou plutôt,
dans lesquels ils sont bloqués, comme assignés à résidence dans une routine terne et sans issue.

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Le même procédé est donc reconduit dans Policier, adjectif. Cristi est l’officier de police du titre, que le scénario suit alors qu’il est chargé d’une affaire de
consommation, et peut-être de trafic, de cannabis. Une affaire dont l’ampleur n’a franchement pas de quoi donner le tournis : trois lycéens qui se réunissent pour fumer pendant les pauses
entre les cours, et qui récupèrent probablement le shit par l’intermédiaire d’un proche de l’un d’entre eux. Traduit en travail de policier, cela donne beaucoup de vacuité et d’inutilité, seul
(quand Cristi enchaîne les filatures stériles et doit en faire chaque jour le rapport détaillé par écrit) ou en relation avec des collègues – quand il marchande avec les employés de différents
services administratifs du commissariat pour obtenir, sans avoir à attendre des lustres, des renseignements sur des identités ou des casiers judiciaires. Avec un tel récit, Porumboiu avance sur
un fil tendu au-dessus du vide, tant l’ennui constitutif de la vie Cristi devient, par son observation sans filtre, l’ennui potentiellement rébarbatif du spectateur.

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Policier, adjectif tangue par moments, mais évite à chaque fois la chute fatale grâce à l’insertion par le cinéaste de scènes qui transpercent la surface banale du
quotidien, pour se brancher directement sur le cas de conscience grandissant dans l’esprit de Cristi. Celui-ci résulte du télescopage entre deux nouvelles incompatibles. D’une part, il y a le
fait que la loi en vigueur dans le cadre du film inflige une peine de prison de plusieurs années pour un délit de consommation de cannabis. De l’autre, il y a la découverte par Cristi que
les lois ne sont des choses ni absolues – il apprend que celles d’autres pays européens sur le même sujet sont beaucoup moins sévères – ni éternelles : sa petite amie, professeur de roumain,
lui fait ainsi remarquer une faute de syntaxe dans un de ses rapports, due à sa non prise en compte d’une nouvelle règle fixée par l’académie roumaine. Le cadre de l’existence du héros s’effrite,
et puisque celui-ci se confondait avec le cadre du film ce trouble nous impacte directement. Sa résolution se joue dans une longue séquence de face-à-face dans le bureau du commissaire, qui
reproduit un dispositif à la 12h08… : caméra et personnages fixes, émergence d’un humour grinçant.

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Cristi se refuse à réaliser le flagrant délit qu’exige de lui son supérieur (au nom d’une politique du chiffre voisine de celle en vigueur en France). Le héros appuie sa position sur des
principes moraux, de conscience ; ce à quoi le commissaire répond par l’humiliation, en forçant Cristi à lire dans le dictionnaire l’intégralité des définitions des termes
« conscience », « morale », « loi » et enfin « policier ». La démonstration vise à prouver que de par son statut d’agent de police, Cristi est dans
l’obligation d’appliquer la loi édictée par son pays. Et elle fonctionnerait, si Porumboiu ne faisait pas déraper le commissaire sur le dernier point de la définition de policier, qui concerne le
concept d’État policier. Là, le commissaire juge le texte du dictionnaire de « connerie », car contraire à ce que lui pense et veut affirmer. Le dictionnaire a toujours raison,
sauf quand je ne suis pas d’accord… et tout l’édifice de l’argumentaire s’effondre. L’épilogue de Policier, adjectif montre Cristi comme s’étant rangé à la décision du
chef ; mais nous savons que cela a été l’effet de la vexation et de la menace, non de la raison et de la légitimité.

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