• Petites chroniques de grands petits films : The pleasure of being robbed de Joshua Safdie (USA, 2008), L’idiot de Pierre Léon (France, 2008) et Forfaiture de Cecil B. DeMille (USA, 1915)

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Où ?

Au MK2 Beaubourg pour le premier, au Reflet Médicis pour le deuxième et à la cinémathèque pour le troisième

 

Quand ?

Vendredi soir, samedi après-midi, dimanche soir

 

Avec qui ?

Ma femme pour The pleasure of being robbed, et seul pour les deux autres

 

Et alors ?

 

Après le temps de la manifestation du 1er mai, le cinéma se vivait court le week-end dernier : 1h10 pour The pleasure of being robbed, 1h01 pour
L’idiot et 59 minutes pour Forfaiture. Trois films extrêmement courts, encore plus que le premier brelan d’œuvres concises que j’avais chroniquées en un unique
article aux premiers temps de ce blog (qui fêtera sous peu ses deux ans). Concis ne veut pas forcément dire sommaire – allez dire ça aux spectateurs de Prédictions, trou noir cinématographique durant aussi longtemps
que L’idiot et Forfaiture réunis -, et il y a quantité de très bonnes choses à aller piocher dans chacun de ces trois longs-métrages.

 

 

Représentants du cinéma moderne dans ce qu’il a de plus artisanal et individuel, The pleasure of being robbed et L’idiot assument tous deux leur budget famélique,
et y opposent une créativité inversement proportionnelle. Dans The pleasure of being robbed, le jeune (vingt-quatre ans) new-yorkais Joshua Safdie filme, sans se soucier du passé
ou de l’avenir, vingt-quatre heures de la vie de Eleonore (Eleonore Hendricks), elle aussi jeune new-yorkaise. On pourrait définir Eleonore comme étant kleptomane, mais ce serait passer en partie
à côté de la motivation profonde de sa pulsion : la curiosité de découvrir les mystères que recèlent ces sacs qu’elle chipe, et les portes que cela ouvre pour sa propre existence. Eleonore
vole ainsi un baladeur, des chatons, une voiture même alors qu’elle ne sait pas conduire. Elle joue aussi au ping-pong, passe une nuit chez un ami à Boston à lire et à piéger des mouches, se fait
arrêter par les flics – visitant à cette occasion pour la première fois le zoo de Central Park. Safdie et Hendricks parviennent à nous embarquer sans réserve dans leur joyeuse digression, en
marge des choses « sérieuses », grâce à la merveilleuse harmonie qui règne sur l’ensemble du film. Interprètes débonnaires, scénario évasif, mise en scène rêveuse, musique emballante,
toutes les composantes de The pleasure of being robbed jouent à l’unisson l’exacte même note, sans aucun raté. Ce n’est qu’une petite ritournelle qui ne paye pas de mine, mais
elle ne pourrait être plus charmante.

 



Le concept de L’idiot est la preuve que, dans les interstices qui séparent les comédies populistes qui inondent les salles semaine après semaine, le cinéma français est encore et toujours le plus créatif, juste derrière
l’américain. L’acteur-réalisateur Pierre Léon a en effet décidé de porter à l’écran un extrait du roman-fleuve de Dostoïevski L’idiot, à défaut d’avoir les moyens de s’attaquer au livre
dans son ensemble. Malicieusement siglé « Épisode IV », son film reprend dans son intégralité et quasiment mot pour mot le climax de la première des quatre parties du roman : un
dîner donné par la courtisane et intrigante Nastassja Philippovna, au cours de laquelle celle-ci compte dévoiler à qui elle s’offrira corps et âme parmi ses nombreux prétendants masculins. Léon
restreint encore l’espace de cette scène à décor unique (un appartement dont l’on ne pourra jamais saisir l’agencement général), en cadrant très serré sur les bustes et les visages de personnages
piégés dans une atmosphère de plus en plus étouffante – Nastassja elle-même ne semble pas toujours maîtriser la tournure des événements. Les choix d’un noir et blanc peu contrasté et d’une caméra
fixe plutôt que portée renforcent le détachement caustique avec lequel la scène nous est donnée à voir ; il n’en va pas différemment dans le livre. A mesure que la soirée avance et que les
assauts se font plus malveillants, moins bénins, le casting révèle également toute sa justesse. La belle troupe d’acteurs réunis incarne avec une grande justesse ces personnages sur le fil du
rasoir entre le tragique et le grotesque ; et à sa tête trône Jeanne Balibar dans le rôle de Nastassja, qui correspond idéalement à son emphase, sa théâtralité et son ironie naturelles.

 



Tourné il y a quatre-vingt-quatorze ans, muet (et sans musique, comme Why change your wife ?), Forfaiture est forcément à part comparé aux deux précédents
films de cet article. Sa durée réduite tient plus à la minceur volontaire de son argument, semblable à celui d’une courte nouvelle : une femme perd une importante somme d’argent qui n’est
pas à elle en la jouant imprudemment en bourse ; une connaissance fortunée se propose de lui prêter l’argent ; mais en échange, il n’a que faire d’un remboursement rubis sur l’ongle,
seul l’intéresse le corps de sa débitrice… Forfaiture est un remarquable précurseur du film noir, où les dilemmes moraux insolubles dans lesquels s’enferrent les protagonistes
(avec pour « facilitateur » la sainte trinité de l’argent, du sexe et des armes à feu), et les développements visuels pervers – le marquage au fer rouge de l’héroïne – et exacerbés -
les ténèbres qui emplissent le dernier tiers – qu’en tire la mise en scène n’ont aucunement à rougir par rapport aux classiques à venir du genre. La brièveté du film empêche tout éparpillement
sur des voies superflues, et maintient l’œil de la caméra rivé sur les proies de sa fiction machiavélique. On trouvera juste à déplorer un happy-end abracadabrant, et les soupçons de xénophobie
antijaponaise qui rôdent autour d’une histoire où le maître-chanteur est le seul personnage à être de cette origine et non pas blanc, sans que rien ne le justifie.

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