• Où sont passés les Morgan ?, de Mark Lawrence (USA, 2009)… et, en deux mots, « In the air »

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Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Dimanche après-midi pour les Morgan, et mardi soir pour In the air

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Autrefois le fer de lance du génie hollywoodien, la comédie romantique est devenue de nos jours un dépotoir saturé en rebuts. L’obsession du potentiel people des interprètes principaux,
la dérive vers la facilité des blagues vulgaires et schématiques, et dernièrement la primauté accordée à la quantité sur la qualité (via l’inflation délirante du nombre d’acteurs à l’affiche –
dernier spécimen en date, le Valentine’s day prévu pour dans dix jours) ont eu raison du potentiel du genre et même de son caractère. Les victimes collatérales de cette décadence
sont la poignée de cinéastes s’obstinant à exploiter la veine romantique avec application, ambition et talent. Il est ainsi évident que personne ou presque ne connaît Mark Lawrence, dont
Où sont passés les Morgan ? complète une trilogie officieuse menée avec Hugh Grant après L’amour sans préavis et Le comeback. C’en est même le
volet le plus abouti, sans longueurs ni faiblesses ; et pourtant il s’est pris une baffe inouïe aux USA, n’atteignant même pas les 30 millions de dollars de recettes et arborant la note
extravagante de 3,3 sur IMDb, ce qui le place au même rang que les plus pitoyables séries Z. La comparaison avec
le récent La proposition, à la bêtise accablante, au machisme latent et à la réalisation bâclée, est encore plus cruelle – 160 millions au box-office, et une moyenne de 6,8.

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Il y a donc eu clairement incompréhension entre les attentes du public a priori visé et ce que Où sont passés les Morgan ? a à offrir. Le seul cas récent d’un revers
comparable qui vienne à l’esprit est celui de Speed
Racer
 ; mais il s’agissait là d’une œuvre véritablement expérimentale, alors que le film de Lawrence est pétri de velléités tout ce qu’il y a de plus classiques. Ses deux
stars, Hugh Grant et Sarah Jessica Parker, y sont égales à elles-mêmes : elle trépidante et forçant volontairement son côté snob de l’Upper East Side, lui détaché, presque lunaire, et adepte
d’un humour pince-sans-rire so british. La répartition équitable des éclats comiques entre eux est par ailleurs un modèle d’égalité des sexes, en même temps qu’un modèle de gestion de la
balance comique du récit. La balance, l’équilibre, voilà peut-être le « problème » qui a transformé Où sont passés les Morgan ? en un tel repoussoir. Lawrence n’a
pas pris l’autoroute balisée du film converti en simple véhicule pour le glamour de ses comédiens, avec cadencement métronomique de gags basiques dont la compréhension par M. et Mme Michu (ou par
les duos de copines qui glougloutent, comme celles que j’avais à côté de moi) est garantie. Il a choisi, l’infâme, d’emprunter le chemin de moins en moins entretenu depuis des années, qui
consiste à utiliser les acteurs et les personnages qu’ils jouent pour raconter une histoire – et si celle-ci exige que les comédiens fassent, pour une fois, physiquement leur âge (avec
rides naissantes et bajoues à la clé), so be it.

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En l’occurrence, il est question d’une comédie du remariage comme il s’en est réalisé des dizaines, dont des chefs-d’œuvre par fourgons entiers, dans les années 1930 à 1950. La recette est
simple : prenez un couple initialement séparé, mettez-les dans une situation compliquée qui les force à coopérer pour se sortir d’affaire (le plus absurde et improbable sera le mieux),
laissez mijoter une heure à une heure et quart et faites-les s’embrasser – et donc, se réconcilier – à la fin. Elle est fidèlement suivie par Lawrence, qui ainsi engagé en terrain familier
démontre une grande confiance dans la conduite de son affaire. Où sont passés les Morgan ? est un film qui prend le temps de tisser ses pistes scénaristiques, de ciseler ses
blagues, d’amener logiquement et sans à-coups ses héros là où ils sont attendus. Lawrence sait très bien presser le pas pour expédier en quelques plans, avec la concision nécessaire, les
articulations purement utilitaires du récit (le meurtre qui force les deux héros à devenir des témoins sous protection du FBI et à déménager ensemble, incognito, au fin fond du Wyoming ; la
manière dont l’auteur du dit meurtre retrouve leur trace). Mais il se refuse à faire un usage productiviste de cette efficacité. Il n’est pas question pour lui d’entrer dans la chasse aux blagues
pseudo-choquantes – ersatz de nudité ou de scatologie, dissemblances schématisées… – et aux retournements balisés, avec pour seul but l’exhibition d’un bénéfice immédiat [comparable à ceux que
doivent atteindre les entreprises soumises au diktat des bilans financiers trimestriels]. Où sont passés les Morgan ? est un bel exemple d’artisanat « à
l’ancienne », à contre-courant de l’hystérie et du bâclage modernes. Malheureusement, présenter des personnages et des sentiments auxquels on croit, et des traits d’humour qui ne rendent pas
caduc la base psychologique du film ne paye visiblement plus.

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Il y a plus particulièrement un point sur lequel Où sont passés les Morgan ? est bluffant : son traitement des antagonismes sociétaux hommes – femmes, démocrates des
villes – républicains des champs. Jamais Lawrence ne tombe dans une caricature à gros traits, qui exagérerait les différences de point de vue dans l’optique d’une « bonne » blague
immédiate. Ces gens ont des convictions hétérogènes, parfois contraires, mais il est possible d’être drôle sans pour autant les réduire à des clichés ambulants : voir le dilemme du
personnage de Sarah Jessica Parker lorsqu’elle doit « choisir » entre être tuée à New York et survivre ailleurs, ou bien l’incompréhension d’un des habitants de leur village d’exil
(Ray, Wyoming) à saisir le fait qu’il existe plusieurs sortes d’avocats. En plus, le cinéaste refuse de forcer, comme cela se fait souvent, une improbable réconciliation entre les différents
camps – laquelle se ferait forcément au détriment des uns, obligés de se soumettre aux raisons des autres (dans La proposition, ce sont ainsi les femmes et les démocrates qui
perdent). Chez l’humaniste Mark Lawrence, chacun est libre de penser ce qu’il veut, de vivre comme il lui chante, et être en bons termes n’est pas corrélé au fait d’avoir les mêmes idées. La
séquence des adieux, qui tape dans le mille là où Invictus mord la poussière, en est la brillante illustration.

 

 

Vu le surlendemain, In the air colle à outrance au portrait-robot que j’ai dressé dans les lignes qui précèdent de la mauvaise comédie romantique américaine contemporaine.
L’histoire en est éparpillée façon puzzle entre une multitude d’« intriguettes », qui saturent l’espace et s’empêchent mutuellement d’être concrètement exploitées ; les personnages
sont catégorisés de manière binaire ; les blagues volent en rase-mottes au-dessus des clichés. Le réalisateur-scénariste Jason Reitman se trimballe en prime une circonstance aggravante de
taille, ayant choisi de retrancher de son film le cynisme acerbe du livre qu’il a adapté (une sorte de Fight club du pauvre, résolument mainstream, mais possédant tout de même un caractère) –
puisque, vous comprenez, « la crise est passée par là » comme on l’entend à tout bout de champ. Son propos se résume à une édifiante leçon de vie destinée à tous les méchants sans cœur,
dont l’emploi consiste à pourrir la vie des braves gens : le personnage central de In the air est un consultant en licenciements, il pourrait tout aussi bien être trader ou
courtier en crédits poussant au surendettement. Tout ce que Reitman trouve à dire à ces individus est que le jour où ils seront de l’autre côté de la barrière, dans la vie « normale »,
ils feront moins les malins car ils souffriront à leur tour comme les autres. En plus d’être affligeant de puérilité ce message se tire une balle dans chaque pied, en oubliant que les traders
& co. ne sont pas près de descendre de leur nuage ; et que la vie normale ressemble à tout sauf à la guirlande de poncifs tressée devant nos yeux.

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