• On achève bien les chevaux, de Sidney Pollack (USA, 1969)

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horses-5Où ?

A la Filmothèque du Quartier Latin, où le film ressort en copie neuve

Quand ?

Lundi de la semaine dernière, à 21h30

Avec qui ?

Mon amie cinéphile

Et alors ?

 

On achève bien les chevaux est tiré du roman du même nom (They shoot horses, don’t they ? en V.O.) écrit par Horace McCoy en 1935, soit de manière presque
contemporaine aux faits qu’il décrit. Les marathons de danse n’avaient été interdits que deux ans plus tôt, et surtout l’événement qui en avait été le catalyseur, la Grande Dépression, pesait
encore fortement sur la survie de nombre d’américains. C’est donc presque logiquement que le livre fut mal reçu, que McCoy – qui l’avait écrit sur la base de sa propre expérience comme videur à
de tels marathons – s’orienta vers un travail autrement plus alimentaire d’auteur de romans noirs et de scripts de séries B pour Hollywood, et que cette histoire ne fut reconnue à sa juste valeur
qu’au travers de son adaptation cinématographique à la fin des années 1960.

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Le film aurait initialement dû être fait par Charlie Chaplin, comme nouveau mélodrame faisant suite aux Feux de la rampe, mais ce n’est finalement que logique qu’il se
soit concrétisé quinze ans plus tard entre les mains d’un des jeunes cinéastes du Nouvel Hollywood, venant grossir les rangs de ces œuvres questionnant l’histoire et les agissements des
générations précédentes, de la première moitié du 20è siècle. Le cinéaste en question était Sidney Pollack, 35 ans, qui réalisait là son premier film d’importance avant d’entamer une fructueuse
collaboration avec Robert Redford (Jeremiah Johnson, Nos plus belles années,Les trois jours du condor). La jeunesse
de Pollack est également une bonne chose pour le film car elle s’accorde avec celle du personnage principal Robert, et pose ainsi sur son histoire un regard certainement plus concerné que si
quelqu’un de plus âgé avait pris en main le projet.

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Cette subjectivité permet de sublimer le dispositif initial du film, très théâtral. Le triptyque formé par un lieu clos (la salle de danse), un drame à l’échelle de l’individu (le marathon
n’intéresse que ceux qui y participent), et des personnages communs est le cadre d’un traitement allégorique de la Grande Dépression, et même plus généralement encore de l’exploitation de la
misère des pauvres par les riches pour faire tourner la société selon leur gré. Et ce quelque soit la nature de la société et l’état de son économie ; nombre d’éléments de On
achève bien les chevaux
sont en effet directement transposables dans notre société contemporaine pourtant plus prospère – mais qui a aussi ses riches et ses pauvres, et les rapports
de force qui en découlent. Un marathon de danse est un spectacle au principe diaboliquement simple : les couples inscrits se tiennent debout et mobiles sur la piste jusqu’à ce que
l’épuisement les élimine tous sauf un, qui empoche 1500$. Toutes les deux heures, la musique s’interrompt pour dix minutes de pause. Les repas quotidiens se prennent debout, sur les heures de
danse ; mais l’indigence de l’après 1929 est si forte que la simple présence de cette nourriture gratuite suffit à en motiver certains à s’inscrire. Les moments de repos et les douches se
prennent en commun par sexe, ce qui renvoie les participants à un état de prisonniers plus que d’entertainers.

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Ils sont pourtant présentés comme tels par le maître de cérémonie et speaker intarissable qui fait le lien entre l’événement et le public. Car public il y a, qui paye son billet pour venir voir
depuis les gradins cet étalage de pauvreté et utilise sa petite monnaie comme aumône jetée sur la piste lorsqu’un couple réalise un numéro « spécial » en solo – chanson, claquettes,
etc. Tous les ingrédients de la Grande Dépression sont donc concentrés dans ce marathon et ses à-côtés, comme dans une expérience reproduite en laboratoire. Mais l’effroi du spectateur du 21è
siècle face à cette expérimentation est redoublé car celle-ci lui rappelle un autre spectacle pathétique dans son exécution, abject dans ses intentions réelles et lui très actuel : la
télé-réalité. Les recettes sont strictement les mêmes. Un système d’élimination au compte-gouttes qui crée naturellement un suspense accrocheur. L’exploitation des rêves de célébrité des
candidats (une bonne partie de ceux de On achève bien les chevaux participent au marathon dans le but d’être repérés par une hypothétique star d’Hollywood venant
assister à quelques heures du concours). L’ajout d’épreuves spectaculaires qui boostent la compétition et donc l’audience (l’horrible « derby », qui force les couples à marcher à vive
allure pendant dix minutes – les trois plus lents étant éliminés). Le casting des participants et la manipulation de leur aspect afin qu’ils ne paraissent jamais supérieurs au public ; sinon
celui-ci se froisse et ne paye plus. Est même déjà présente l’utilisation du spectacle comme véhicule pour annonceurs : pour 5$ par semaine, des couples peuvent être sponsorisés et obtenir
des vêtements neufs qui les transforment au passage en hommes et femmes-sandwichs pour le garagiste ou le quincailler local.

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Tant que la société du spectacle reproduira les mêmes recettes, On achève bien les chevaux restera donc un pamphlet intemporel et non le témoignage d’excès révolus.
C’est un pamphlet car le film rue dans les brancards, en mettant à nu l’arnaque qui fait que même les vainqueurs repartent en pratique sans rien, et en refusant soi-même de jouer le jeu (on
ne connaîtra pas l’identité des gagnants). Ce n’est par contre pas une leçon de morale pesante, car comme je l’ai dit plus haut Pollack filme à hauteur d’homme. Il n’est pas un procureur
dénonçant des pratiques et des systèmes depuis son estrade, et qui voit les candidats comme des victimes interchangeables au service de sa cause. Il se met au niveau de ces derniers, là où le
marathon n’est plus une question de spectacle, de morale ou de profit mais une question de survie. Le marathon est tout pour eux, il détient leurs vies tout entières (qui se résument pour la
plupart au contenu de la valise qu’ils ont amenée) et porte tous leurs espoirs, quand bien même il n’est objectivement qu’une prison, aux barreaux invisibles et dont le débouché est un mirage. En
filmant conformément à cette subjectivité, sans échappatoires physiques – la salle est toujours filmée depuis la piste, jamais depuis les gradins – ou mentaux (pas de voix-off, de commentaire
d’un spectateur ou autre personnage extérieur), Pollack redonne une présence et une dignité à Robert et aux autres concurrents. Nous ne ressentons plus simplement de l’empathie mais de la
sympathie envers eux. Comme eux, nous nous sentons asphyxiés, comprimés par la somme de contraintes auxquelles se conformer. Comme eux, nous ne voyons plus le monde extérieur que comme un
fantasme, confus et étrange. De même que les flashforwards décrivant le futur de Robert après le marathon sont présentés comme des bribes de cauchemar, aux contours mal définis, le retour à la
réalité pour le spectateur en sortant de la salle après la séance est des plus déstabilisants. On achève bien les chevaux nous a emmenés tellement loin dans son univers
tragique qu’en revenir indemne est bien plus difficile que pour un film lambda.

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