• Mr. Arkadin, de Orson Welles (France-Espagne-Suisse, 1955)

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vlcsnap-54637Où ?

A la maison, en DVD zone 2 (le zone 1 de Criterion porte un des autres titres du film, Confidential report)

Quand ?

Le week-end dernier

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Les projets boiteux et/ou inaboutis ont été une des constantes de la carrière d’Orson Welles ; le pendant négatif de son fabuleux génie cinématographique. Ce génie a été révélé dès son
premier film, Citizen Kane, et la poisse du cinéaste – parfois alimentée par les mauvaises décisions de celui-ci, qui n’a pas été que victime – dès son second,
 La splendeur des Amberson. Intercalé entre deux chefs-d’œuvre relativement épargnés, Othello et
La soif du mal, Mr. Arkadin est un de ces films « maudits », mal ficelés du début à la fin. Le montage financier impliqua une
coproduction transnationale (France, Espagne, Suisse) qui, comme c’est fréquemment le cas, tire globalement l’interprétation vers le bas malgré quelques exceptions – Suzanne Flon, Michael
Redgrave. A l’autre bout de la chaîne, la postproduction s’apparente à du gros œuvre fruste plus qu’à un travail de finition méticuleux et investi dans le perfectionnement du film. La
postsynchronisation à la truelle des dialogues oscille entre le déplaisant et l’irritant ; l’absence totale d’orientation dans le montage, qui se contente de mener l’histoire à son terme le
plus vite possible avec les plans et les scènes à sa disposition, montre à quel point celui-ci a échappé à Welles.

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De l’ouvrage et du dessein de Welles, ne reste visible dans son état véritable que le résultat de la partie médiane de la production, le tournage proprement dit. Son instinct visuel inégalable y
fait merveille, et la première scène capable de ridiculiser toute concurrence n’attend que quelques minutes pour arriver, en ouverture du long récit en flashback qui occupe la plus grande part du
film. Par de savants jeux d’ombres portées et de perspectives modifiant la taille respective des caisses et des humains, cette course-poursuite sur un quai de déchargement de containers devient
un cauchemar éveillé piégeant ses visiteurs dans un monde aux confluents de l’expressionnisme, du film noir et du labyrinthe de fête foraine. Soit trois versions déviantes de notre monde
bassement réel, que Welles a toujours considéré nécessaire et préférable de remodeler sous une forme plus intense, plus révélatrice (voir l’inégalable climax de La dame de Shanghaï).

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Cette superbe entrée en matière est l’une des bribes du vrai film, qui aurait pu être, que le montage final de Mr.
Arkadin
laisse entrevoir. Comme c’était le cas dans La splendeur des
Amberson
, la question de fond qui a de toute évidence motivé Welles
est complètement passée à l’as. Le cinéaste interprète lui-même Gregory Arkadin (dans un de ses fréquents travestissements prémonitoires en un vieillard bedonnant tel celui qu’il deviendra), qui
lance le héros du récit, Van Stratten, dans une enquête sur sa vie car il a soi-disant perdu tout souvenir de ce qui lui est arrivé avant un certain événement. Ce motif n’est qu’un prétexte à une
réflexion – potentiellement passionnante mais tuée dans l’œuf au montage, donc – sur l’identité, le passé d’un homme, et toutes ces briques importantes ou mineures, intimes ou publiques qui les
constituent en s’agglomérant au fil des années ; et des rencontres. Retracé à rebours par Van Stratten, le fil de ces dernières se mue en une parade de trognes grotesques, parmi les plus
inventives et marquantes issues de l’esprit du cinéaste.

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Ce défilé fait réémerger un sens dans un film qui en est par ailleurs privé. Dans l’après
Seconde Guerre Mondiale, le trio Van Stratten (à l’écran) – Welles (derrière la caméra) – spectateur sillonne la planète et saute d’un continent à l’autre avec une facilité proportionnelle au
chaos indicible et sinistre qui règne en chacun de ces lieux. Tout est accessible, et pourtant rien n’est compréhensible. La marche en avant du monde lui-même, sur la voie de l’espérance et du
progrès, semble comme suspendue, enrayée par les horreurs auxquelles il a tout juste été mis fin. Dans ces circonstances, la population ne se partage plus qu’entre les manipulateurs et les
manipulés, jugement amer analogue à celui du
Troisième homme mais étendu ici à l’échelle du globe : d’un cirque de puces à Copenhague à un bric-à-brac d’antiquaire à Amsterdam, d’un bal masqué démesuré et décadent en Espagne à un
troquet hors du temps au Mexique où des hommes échoués là enchaînent pour l’éternité des parties de cartes ; et encore à Paris, Naples, Munich… Et ce qui est inattendu, c’est que la confusion et
la fuite en avant permanente
du montage amplifient finalement cette ambiance trouble et incertaine dans laquelle le film se déroule ; et renchérissent ainsi involontairement
sur la vision négative du monde que Welles convoie.

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