• Mitchell Leisen en 3 films : Hands across the table (1935), La baronne de minuit (1939) et Par la porte d’or (1941)

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Où ?

A la cinémathèque pour Par la porte d’or, au dernier jour (ouf !) de la rétrospective consacrée au réalisateur ; et dans le double DVD édité simultanément en France par Blaq Out
pour les 2 autres

Quand ?

Ces 2 dernières semaines

Avec qui ?

Seul à la cinémathèque, et avec ma femme pour les DVD

Et alors ?

Hands across the table, le premier succès commercial de Mitchell Leisen, est un film court (à peine 1h15) et surprenant. Il s’y construit en effet un équilibre subtil entre la
pure comédie loufoque et le drame social réaliste. Le rayon comédie est tenu par le duo Carole Lombard – Fred MacMurray, lesquels font des étincelles dès qu’ils sont réunis et provoquent de
francs éclats de rire depuis une première soirée ensemble achevée ivres au dernier degré jusqu’à un embouteillage final provoqué par un jet à pile ou face, en passant par l’hilarante éviction
d’un soupirant de Lombard par une scène de ménage à la violence simulée mais néanmoins transgressive. L’humour se double d’une autre expression de surface de la complicité et du désir naissant
entre eux deux : une sensualité étonnamment présente pour un long-métrage d’alors. C’est une bretelle de nuisette qui laisse voir une épaule nue, ou bien une scène aux forts sous-entendus dans
laquelle Carole Lombard vient border Fred MacMurray.


La partie dramatique se niche dans un arrière-plan très présent, celui de la crise économique post-1929. C’est en effet la morosité de cette période où l’avenir paraissait on ne peut plus bouché
qui justifie les motivations des deux héros pauvres : pour ne pas sombrer, ils prêts à tout jusqu’à échanger leur jeunesse contre des mariages de raison. Le gouffre entre ces derniers et les
riches pourrait difficilement être plus vivace que dans les situations décrites au sein du microcosme de l’hôtel de haut standing où se déroule la majeure partie de l’action. Le dédain final
exprimé envers les riches et oisifs clients, qui restent sans rien d’autre que leur capital matériel et doivent voir sans broncher le bonheur des héros étalé sous leurs yeux, situe clairement
Hands across the table du côté des pauvres. Avant d’en arriver là, le film a certes démarré lentement mais se bonifie de toute évidence scène après scène. Les deux aspects comique
et dramatique s’étoffent en parallèle, et c’est en toute logique qu’ils donnent leurs meilleures scènes dans le dernier acte.


Le romantisme et l’arrière-plan social sont encore présents dans La baronne de minuit, mais en filigrane cette fois. Ces ingrédients ne servent que de base à une mécanique comique
résolument jubilatoire et irrésistible, sûrement en raison de la présence au scénario du duo Billy Wilder – Charles Brackett, qui faisaient là une « pause » entre deux Lubitsch
mémorables, La huitième femme de Barbe-Bleue et Ninotchka. La baronne de minuit est un exemple parfait des merveilles issues de la comédie
américaine de cette époque (d’autres exemples sont L’impossible M. Bébé ou Femmes, réalisés… la même année !), qui ne se contente pas d’exploiter des situations
humoristiques l’une après l’autre mais les empile sans vergogne et sans souci de rester réaliste. Le troisième acte devient alors un feu d’artifice ininterrompu de gags verbaux ou visuels.

Dans La baronne de minuit comme souvent alors, le principe qui régit le scénario consiste en un enchaînement de multiples tromperies d’un personnage sur son identité et de
conspirations secrètes. Déjà sources de rire pris séparément, ces schémas s’additionnent, s’emmêlent jusqu’à, comme s’il s’agissait d’une réaction chimique, créer de nouvelles situations
comiques, de nouvelles blagues, de nouveaux fous-rires. Pour tenter de résumer les choses, l’escalade à laquelle on assiste ici atteint son apogée lorsque l’héroïne « infiltrée » dans
la haute bourgeoisie pour y trouver un bon parti (et aidée en cela par un mari jaloux qui compte sur elle pour séduire l’amant de sa femme) fait croire à la folie de son ex-petit ami, lequel est
venu lui aussi sous une fausse identité noble pour la reconquérir et veut maintenant dévoiler le pot aux roses (son identité à lui, la sienne à elle) pour la récupérer de force. Pour être tout à
fait exact, l’héroïne ne fait donc pas croire à la folie de son ex, mais à celle du rôle que celui-ci joue (pfiou !).



En plus du don comique de ses scénaristes, La baronne de minuit a profité pour s’élever vers de tels sommets d’une remarquable conjonction de talents et d’opportunités. Le talent
visuel de Mitchell Leisen s’épanouit parfaitement dans le luxe de décors et de costumes (les hôtels, les manoirs, les robes) qui habillent souvent les comédies de ce temps où brillent les
derniers feux de la bourgeoisie américaine du début du 20è siècle. Et la notoriété de ce même Leisen permet de former un casting fabuleux – John Barrymore, Mary Astor, et dans le rôle-titre la
géniale Claudette Colbert, à qui il suffit de s’asseoir dans un fauteuil pour démontrer tout son talent comique.


Malgré la rancune tenace de Billy Wilder à l’égard de Leisen pour ce que ce dernier a fait de son script, leur deuxième et dernière collaboration (avant que Wilder passe lui-même à la
réalisation), Par la porte d’or, est un film plutôt bon, et presque à la hauteur de ses ambitions. Certes, celles-ci sont principalement contenues dans le scénario, mélange
baroque de film de groupe hawksien (une bande d’immigrants européens en souffrance bloqués du mauvais côté de la frontière Mexique / USA), de screwball comedy (via les relations entre le
héros gigolo et les femmes) et de film noir – le cœur du récit est une arnaque au mariage pour obtenir des papiers américains. Derrière tout cela, on trouve un traitement très actuel du sujet de
l’immigration, qui tenait forcément à cœur à Wilder, parti aux USA pour « éviter de finir dans un four crématoire ».


L’importance et la force de ce thème s’expriment surtout à travers les très beaux moments de gloire des personnages secondaires. Citons-en deux : un homme qui se découvre lointain parent de
Lafayette et passe dès lors en un éclair du statut de refoulé à la frontière à celui de citoyen d’honneur du pays ; une femme qui s’arrange pour accoucher dans le bureau de l’inspecteur de
l’immigration… qui est situé du côté américain, permettant ainsi à son fils de profiter du droit du sol. Bien sûr, à côté de cela, il manque une étincelle dans la mise en scène et/ou le
casting, tous deux très académiques. Leisen semble avoir du mal à autant s’impliquer dans cette histoire que dans les deux précédemment citées (d’où peut-être la fureur de Wilder, qui pour sa
part a écrit peu de scripts ayant de tels liens avec sa propre personne), même s’il réalise un honnête travail de studio. Il parvient entre autres à rendre fluide le mélange des genres du film,
et à créer une belle émotion dans certaines scènes – je pense surtout à celles centrées sur le personnage du « pigeon », interprétée par la tendre Olivia de Havilland. Sa candeur
équilibre plus d’une fois le cynisme de son arnaqueur, par exemple au cours d’une bénédiction religieuse pour jeunes mariés dans un petit village mexicain.

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