• Main basse sur la ville, de Francesco Rosi (Italie, 1963)

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citta-1Où ?

A la maison, en DVD zone 2

Quand ?

En deux fois, samedi soir et dimanche midi

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

 

Un plan génial lance Main basse sur la ville. Il démarre comme un panoramique latéral classique, observant un ensemble d’immeubles depuis une distance suffisante pour les faire
tenir tout entiers dans le cadre. La fin du mouvement fait apparaître sur la droite de l’écran deux mains qui paraissent géantes par rapport aux bâtiments – l’homme à qui elles appartiennent se
trouve au tout premier plan. Et la caméra, par son déplacement, semble jeter entre ces mains les immeubles et tous les habitants qu’ils abritent, donnant concrètement forme au titre original du
film, Le mani sulla citta, « Les mains sur la ville ».

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Un pan entier du scénario devient une affaire classée par le simple effet de ce plan introductif. Les entrepreneurs véreux et voraces tels que celui qui nous a été présenté en commençant par ses
mains, Edoardo Nottola, ont une emprise absolue sur toutes les étapes des processus d’urbanisation – modifications des plans d’urbanisme, modalités des appels d’offres, structures d’expertise et
de surveillance du respect des normes. Ces aspects ne sont donc pas ceux sur lesquels va s’étendre Main basse sur la ville. Ce scandale est en effet mineur par rapport à un autre,
qui touche à la collusion entre les représentants politiques élus par le peuple et les spéculateurs susnommés. Rosi met le doigt sur ce point noir honteux, en narrant sur la base d’un exemple
fictif par quels moyens les puissants et fortunés s’arrogent le contrôle de la démocratie.

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L’intrigue est fictive, mais possède nombre de frères et sœurs dans des faits divers tragiques : dans un quartier décrépi en pleine restructuration, un immeuble encore habité s’effondre
suite à la démolition mal évaluée du bâtiment attenant. On dénombre un grand nombre de blessés, et la mort d’un enfant, à la suite de ce drame filmé par Rosi d’une manière qui entremêle le film
d’horreur et le documentaire. Ce panachage peu orthodoxe, qui génère une intensité terrible, est également hautement symbolique. Sa composante documentaire descend directement du style
néoréaliste inventé par les cinéastes italiens (Rosselini, De
Sica) au sortir de la Seconde Guerre Mondiale ; la dilution de ce style dans le cinéma de genre entérine et le fait qu’il est en passe de disparaître sous les assauts des Fellini, Antonioni et autres, et l’échec de l’aspiration politique progressiste à
laquelle il était adossé. C’est l’horreur des intrigants sans morale, de leurs pots de vin et de leurs magouilles qui étend désormais son emprise sur l’Italie, ici représentée par la ville
emblématique de Naples.

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Du néoréalisme et de sa poésie à ciel ouvert, on n’en trouve plus trace dans la suite de Main basse sur la ville. Une chape de plomb de plus en plus oppressante et suffocante
repose sur le reste du récit, qui se déroule dans les assemblées semi-publiques et privées où se font et se défont les arrangements au sein de la majorité municipale alors qu’approchent les
prochaines élections. Nottola, le maître d’œuvre du chantier où s’est produit l’accident, est en effet également adjoint au maire ; et il « pèse » suffisamment de voix pour influer
grandement sur l’issue du vote à venir. Le « bas peuple » occulté derrière ces bulletins de vote voit sa présence réduite à trois scènes, dont une dans laquelle le maire distribue des
liasses de billets à des hommes et des femmes en s’exclamant à l’intention d’un membre de l’opposition « Tu vois, c’est comme ça que l’on fait de la politique ! ». Cette
frontalité cinglante choisie pour dénoncer la corruption insidieuse et la trahison envers l’éthique est constante tout au long du film. Dans sa première moitié, pour clamer haut et fort la
question qui fâche : est-il moralement soutenable que des contrats publics soient confiés à des entreprises possédées pour tout ou partie par des personnes ayant explicitement une influence
sur l’attribution de ces contrats ? Puis, dans le deuxième acte, pour révéler de quelle manière ce cancer qui ronge le corps de toute société, démocratique ou non, réussit toujours à trouver
un nouveau porteur dans le cas – rare – où il se fait expulser de celui qui l’hébergeait.

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Rejeté par une droite qui n’en pouvait finalement plus d’être exploitée, Nottola trouve refuge chez les centristes qui confondent l’attrait du pouvoir avec l’illusion d’être les détenteurs d’une
hypothétique capacité à désamorcer l’influence néfaste de leur allié de circonstance. Rosi décrit méticuleusement, sans rien laisser des tractations et rétractations hors champ, l’émergence de
cette prétention puis son effondrement, lorsque les centristes se voient à leur tour acculés à perpétuer le système corrompu en place. C’est cela, ou bien couler avec lui. Main basse sur
la ville
, et c’est important, ne se complait pas dans une dénonciation facile et hâtive du « tous pourris » grâce au personnage du conseiller municipal De Vita. Le film est
simplement pleinement conscient des obstacles majeurs et persistants qui se dressent entre de tels hommes, vertueux et combatifs, et l’exercice du pouvoir. La leçon de politique donnée à travers
ce récit est en cela capitale, aujourd’hui autant qu’hier, dans n’importe quel pays autant qu’en Italie. Nottola, ce prototype des âmes damnées des puissants, des faiseurs de rois de devanture ;
cet exemple concret d’un « übermensch » au charisme terrifiant et à la détermination féroce (interprété par un Rod Steiger absolument habité), c’est un peu le Bouygues de
Sarkozy, ou mieux le Dick Cheney de George Bush.

 

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