• Lions et agneaux et Le royaume, 2 films scénarisés par Matthew Michael Carnahan

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Où ?
Au ciné-cité des Halles pour le premier, et à l’UGC Normandie (dans la gigantesque salle Prestige, enfin rénovée !) pour le second


Quand ?

La semaine dernière et il y a 3 semaines


Avec qui ?

Seul dans les 2 cas. Pour Lions et agneaux, j’ai été surpris du monde présent alors qu’il s’agissait de la séance de 9h du matin


Et alors ?

Même si leurs qualités cinématographiques sans éclat particulier (un peu plus pour Le royaume, quand même) ne devraient pas les faire passer à la postérité, Lions et agneaux et Le royaume méritent un petit arrêt sur ce blog car ils marquent peut-être la naissance d’un scénariste qui compte : Matthew Michael Carnahan, le frère de Joe Carnahan (Narc). À seulement 32 ans, il signe en effet coup sur coup 2 scripts, pas forcément aboutis mais dont l’ambition structurelle presque expérimentale, la variété (installation théâtrale dans un cas, gros film d’action à l’ancienne dans l’autre) et les prises de position tranchent indiscutablement avec le tout-venant américain.

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Lions et agneaux est un diagnostic de la débâcle de la gauche, en 3 parties (la 3è restant en fait à écrire) frontalement exposées en un dispositif théâtral menant en parallèle 3 dialogues – un sénateur néo-con et une journaliste de gauche, un prof de sciences politiques (là encore de gauche) et un jeune élève prometteur mais je-m’en-foutiste, et enfin 2 marines paumés par leur unité dans une tempête de neige en Afghanistan.

Partie 1 = une réaction unilatérale outrée face à l’état actuel de la « guerre contre le terrorisme »

Partie 2 = les personnages bien-pensants sont mis face à leurs ambiguïtés (la journaliste, qui a aidé à vendre la guerre en Irak avant de retourner sa veste) et leurs échecs (qui remontent à la fin de la Guerre Froide, après quoi ils ont laissé le champ libre à la droite dure rénovée et conquérante)

Partie 3 = la riposte ? Incertaine. Cela se ressent sur le film, bancal (surtout que Redford ne fait rien pour arranger les choses avec sa mise en scène minimaliste, qui fait perdre absolument tout intérêt aux scènes avec les soldats) malgré un fond passionnant. Lions et agneaux appelle un chat un chat, en se plaçant dans un présent 100% réel et en ne reculant pas devant la gageure d’une analyse géopolitique globale – même si cette dernière reste donc inachevée. On salue en particulier l’incroyable qualité d’écriture et de jeu (énorme Tom Cruise) du sénateur, recréation plus vraie que nature de la brutalité extrême et sans limites tapie derrière le verbe feutré de la novlangue néo-libérale, à base d’« implémentation de nouvelles stratégies », de « victoire des cœurs » et autres tournures contrefaites. Dans le camp d’en face, Robert Redford et Meryl Streep sont effacés, mais est-ce uniquement la faute du film ? N’est-ce pas aussi un reflet fidèle de la situation actuelle, qui voit la gauche complètement démunie face au verrouillage des consciences opéré par la droite ?

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Intuition brillantissime, ou simple coup de bol collatéral ? La vision du Royaume laisse sur cette interrogation, avec l’envie de croire à la première solution – en partie pour Carnahan, son intérêt prouvé dans Lions et agneaux pour la géopolitique « sérieuse », non édulcorée (le générique d’ouverture, petit précis d’histoire saoudienne de 1900 à nos jours assez exhaustif et impartial, en est une autre preuve), et ses idées plutôt de gauche et critiques envers les abus de la toute-puissance américaine.

Comme Lions et agneaux, mais en moins voyant, Le royaume est construit en 3 parties successives, qui représentent autant de mises à mal de mythes américains.

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1) Un attentat sanglant contre un lotissement pavillonnaire d’expatriés américains en Arabie saoudite, planifié en 3 salves par les terroristes pour faire le plus de victimes possibles, en particulier au sein des secouristes et des premiers enquêteurs dépêchés sur place. Dans la ligne de mire du film : le mythe de la faculté américaine à protéger ses citoyens, démonté en direct avec l’attaque du World Trade Center mais encore peu réactualisé aussi frontalement qu’ici par Hollywood.

2) On suit ensuite l’enquête menée par 4 pros du FBI. Ou plutôt une non-enquête : la grande idée de la première heure du film est en effet d’empêcher ses personnages de faire leur travail. Présents en qualité de soutien et non de meneurs de l’investigation, les héros sortent quand on veut bien les faire sortir, vont là où on les emmène, touchent ce qu’on les autorise à toucher. Et lorsqu’un premier coup de deus ex machina les libère de la souveraineté saoudienne (légitime, mais tellement souvent foulée aux pieds dans de tels films), non seulement les américains se comportent en clichés ambulants (méprisants vis-à-vis des autochtones, d’une désinvolture permanente, ils trouvent comme par hasard les indices-clés en 2 minutes) mais en plus cet étalage de morgue ne conduit qu’à la mise hors service d’une poignée de terroristes troufions de base, immédiatement remplaçables. Ce 2è acte s’attaque donc à une cible de plus gros calibre que le premier : la toute-puissance d’investigation des agences américaines, survendue mondialement par les séries télé et ici attaquée sur son comportement et surtout sur ses résultats.

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3) Arrive alors un second deus ex machina, qui donne aux agents l’occasion de faire parler la poudre en représailles de l’enlèvement d’un des leurs. Après Paul Greengrass (Vol 93, La vengeance dans la peau) au cours de l’enquête, tournée en caméra à l’épaule constamment en mouvement, c’est le Ridley Scott de La chute du faucon noir que le réalisateur Peter Berg singe dans cette longue séquence de guérilla urbaine. Dans les 2 cas, le résultat de mise en scène n’est pas à la hauteur des modèles copiés ; mais là n’est pas le plus important. Scénaristiquement, le film opère un virage à 180° par rapport au ton employé avant. On se croirait revenu au « bon » temps des Commando et autres Rambo, avec leurs oppositions de machines à tuer américaines et de bad guys consternants de stupidité – tout d’un coup, les cerveaux des attentats sophistiqués du début du film deviennent incapables de se servir qui d’une caméra (pour filmer l’exécution de l’otage), qui d’un lance-roquette. Le carnage est donc total jusqu’à l’absurde, tout comme le triomphe des USA.

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Sauf que… les dernières secondes du film prennent la forme d’un montage alterné entre les agents du FBI, auxquels le chef Jamie Foxx rappelle leur promesse initiale et tenue (« On les tuera tous »), et le petit-fils du planificateur des attentats, qui conclut le film sur le mot d’ordre – déclamé en arabe, et quasiment face caméra – que lui a transmis son grand-père… « On les tuera tous ». De quoi renverser complètement notre pt de vue sur la dernière 1/2-heure que l’on vient de subir avec exaspération, puisque celle-ci sonne désormais comme une mascarade volontaire, qui dénoncerait par l’absurde l’illusion de surpuissance, de légitimité morale et de force de conviction démocratique que les USA tentent de répandre aux yeux du monde et à leurs propres yeux. Grain de sable kamikaze au sein du système, ou simple suiveur d’un désenchantement de plus en plus général, Le royaume fait en tout cas son (grand) effet.

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