• Lifeboat, de Alfred Hitchcock (USA, 1944)

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lifeboat-1Où ?

A la Filmothèque du Quartier Latin, où le film fait l’objet d’une ressortie en copie neuve

Quand ?

Mardi soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

Avant La corde, Le crime était presque parfait et autres,
Lifeboat fut le premier film de Hitchcock à avoir été essentiellement motivé par un défi formel.
Comme le réalisateur l’explique dans son livre d’entretiens avec François Truffaut, il s’agissait pour lui de vérifier la validité d’une observation (tout drame centré sur ses personnages plus
que sur l’action est composé à 90% de gros plans fixes) transformée par ses soins en théorie : un tel drame peut se dérouler n’importe où, dans n’importe quelles circonstances, sans que son
intensité en soit aucunement affectée. Par exemple à bord d’un canot de sauvetage dérivant des jours durant au milieu de l’océan, sans lien avec le monde extérieur. Huit des neuf personnages du
film s’y retrouvent après que le cargo anglais à bord duquel ils traversaient l’Atlantique a été coulé par un sous-marin nazi. Le neuvième membre de l’équipage improvisé, Willi, appartient au
camp adverse, le sous-marin ayant lui aussi été torpillé par le navire britannique. Le grade et les motivations précises de Willi restent mystérieux pendant une bonne partie du récit, et en
constituent alors la principale source de suspense puisqu’en parallèle Willi se révèle par beaucoup d’aspects le plus apte à préserver l’existence des survivants.

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Sur le plan de la mise en scène, l’expérience menée par Hitchcock est un succès total. Il ne s’écarte jamais de sa ligne –
aucun plan en dehors de l’espace confiné du canot, aucune intervention de l’extérieur (hormis pour clore le film autrement que par la mort de tous ses occupants), aucune musique. Et non seulement
cette conduite ne nuit nullement à notre attachement au film et à ses protagonistes, mais elle le fortifie même en instituant et soutenant à elle seule une tension de tous les instants, évitant
ainsi à
Lifeboat de s’en remettre exclusivement au bavardage tous azimuts pour se
maintenir à flot. Par ses regroupements ou exclusions de personnages par le cadre, et ses choix d’axes neutres ou en contre-plongées, Hitchcock fait évoluer en permanence les jeux d’allégeance et
de méfiance au sein du groupe. Par sa captation de regards en coin d’un des individus au moment d’agir à l’insu des autres, ou bien du « contre- » regard en coin d’un personnage
surprenant l’action secrète du premier, il concocte ici et là des instantanés de suspense muet – jusqu’à ce qu’ils explosent en dialogue – terriblement efficaces : les mensonges de Willi au sujet
du cap à suivre, le meurtre qu’il commet sur l’un des autres passagers.

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Les limites de Lifeboat résident finalement dans son scénario et dans les orientations de celui-ci. Le caractère chaotique de son écriture, démarrée par John Steinbeck mais laissée inachevée, puis
reprise à tour de rôle par un nombre certain de scénaristes, se ressent dans l’enchaînement parfois décousu et haché des séquences, et dans l’essoufflement du récit dans sa deuxième moitié par
rapport à la première. Rien qui ne soit rédhibitoire, mais l’absence d’un second souffle, d’un élément qui relance la machine est palpable. L’autre point qui dessert

Lifeboat, à nos yeux modernes en tout cas, est sa nature de film de propagande – une nature assumée
par tous les participants au projet, Hitchcock compris. Avant même qu’il s’achève sur un carton
« The end » invitant par ailleurs les spectateurs à acheter eux aussi leurs « war
bonds »
pour supporter l’effort de guerre, Lifeboat entonne le à gorge déployée son couplet patriotique sur la nécessité de combattre avec force et sans faire de quartier la menace nazie.
Les fortunes contraires de deux des personnages en sont un exemple : Rittenhouse et ses tendances initialement pacifistes finit par être décrit comme un quasi collabo, tandis que Kovac et ses
opinions et raisonnements radicaux (pas de prisonniers, ce genre de choses), sur lesquels il ne fait aucune concession, se voit donné raison et récompensé par le film. Quant à l’épilogue, qui
repose sur l’arrivée à bord d’un second soldat nazi, il donne une version encore plus rudimentaire du dilemme vécu par les personnages histoire de finir de convaincre les plus réticents. Toute
perspective d’une étude nuancée sur le bien et le mal, telle que Hitchcock a pu en faire de brillantes par ailleurs, est ainsi réduite à néant. L’ironie de la chose est qu’au moment de sa
sortie,
Lifeboat avait été vertement critiqué pour des raisons exactement opposées :
il donnait soi-disant une image trop positive des nazis, en faisant de Willi un être doué (pour la navigation, le commandement) et capable de raisonner…

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