• Les cendres du temps, de Wong Kar-wai (Hong Kong, 1994)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, en version « redux » (remontée avec 7 minutes de moins, et avec une photographie retravaillée)

Quand ?

Mardi soir, à 22h30

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

Troisième long-métrage de Wong Kar-wai, Les cendres du temps est célèbre pour avoir été le premier film « monstre » du cinéaste, avant In the mood for
love
et surtout 2046. Les cendres du temps partage avec ces deux films un même fil directeur (un amour foudroyant, contrarié, aux déclinaisons complexes),
le même formalisme débridé, et la même difficulté du cinéaste à mettre un point final à son projet, à faire correspondre ses fantasmes de cinéma et leur incarnation visuelle une fois portés à
l’écran.

En un sens, Les cendres du temps anticipe le « pire » des deux autres longs-métrages. Comme 2046 une décennie plus tard, Les cendres du
temps
s’est transformé en une production interminable, à cause des multiples revirements et hésitations du cinéaste – qui est même allé jusqu’à interrompre le tournage pour réaliser un
autre film, Chungking Express. Et à la manière de l’épilogue de In the mood for love, les deux derniers de ses cinq actes tentent de renouer le fil d’un récit
cohérent, pragmatique, mais qui ne fait plus sens à ce moment du film et ne provoque qu’un désintérêt poli. Cette inconstance évidente quant au poids à donner au scénario dans le cadre du film
pris dans son ensemble – poids qui, au vu du résultat final, devait changer tous les matins du tournage – fait des Cendres du temps une œuvre bancale, un « grand film
malade » pour reprendre l’expression de François Truffaut.

Car par bien d’autres aspects, on a là affaire à un incontestable grand film, au pouvoir de fascination manifeste. Certes il faut s’accrocher, et accepter de ne pas tout saisir à un degré
littéral. Il y a assurément des connections avec David Lynch – (re)voir Lost highway, Inland Empire – dans cette volonté de faire un film qui se situe au-delà du
niveau de compréhension habituel, ordinaire. Chez l’américain comme chez le chinois, il s’agit de démarches dans lesquelles des émotions immédiates, sensorielles priment sur la part
intellectuelle, verbale que le cinéma a héritée du théâtre et de la littérature. L’un comme l’autre sont donc des héritiers du formalisme d’Eisenstein et de Hitchcock, dont ils poussent les expérimentations un cran plus loin via l’influence de l’art moderne – qui se
traduit par un énorme travail sur la couleur et la matière, et un objectif avoué de déconstruction des genres abordés.

Le traitement des scènes de combats au sabre est ainsi stupéfiant, en rejetant tous les codes usuels de fluidité et de suspense au profit d’une vision subjective, parcellaire, quasiment
subliminale. La bande-son (peu de films de Hong Kong bénéficient d’une partition musicale aussi soignée, et parcourant de la sorte l’ensemble du long-métrage) et la photographie – chaque plan
sert de support à une débauche de couleurs irréelles, de perspectives inattendues, de jeux sur la granulosité de l’image – contiennent elles aussi leur lot de splendeurs uniques. Mais c’est le
montage qui impressionne durablement, et plus précisément le concept fascinant et jusqu’au-boutiste appliqué par Wong Kar-wai de faire des Cendres du temps un film quasiment dénué
de tout contrechamp. On ne voit que les personnages, jamais ce qu’ils regardent. L’effet est vertigineux, et est la dernière touche visuelle d’un film subjectif, irréductible à toute
compréhension d’ensemble par un point de vue extérieur – celui du spectateur.

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