• Les affranchis, de Martin Scorsese (USA, 1990)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 acheté en coffret avec Il était une fois en Amérique

Quand ?

Mercredi soir

Avec qui ?

Mon compère de cinémathèque, en attendant que celle-ci rouvre après sa fermeture estivale

Et alors ?



« Aussi loin que je me
souvienne, j’ai toujours rêvé d’être un gangster »
. Cette phrase dite en voix-off par le héros des Affranchis en ouverture du film pourrait tout aussi bien s’appliquer à
Martin Scorsese, dont la constance de la fascination pour les malfrats tout au long de sa carrière n’est plus à démontrer. Avec Casino, qui l’a suivi quelques années plus tard,
Les affranchis représente le sommet de cette relation d’attraction-répulsion. Écrits par le même homme (Nicholas Pileggi), les 2 films racontent des sagas criminelles se déroulant
sur plusieurs décennies et accumulant les personnages et les sous-intrigues. Dans les 2 cas, l’échec final du héros et le fait qu’il soit seul à blâmer pour cela sont les meilleures preuves que
l’excitation du réalisateur à nous faire pénétrer cet univers d’illégalité n’est que temporaire, et finit toujours en condamnation plutôt qu’en apologie.

Les affranchis est moins romanesque que Casino ; moins imposant que Le parrain dont il emprunte l’objectif – décrire de la manière la moins
spectaculaire possible le fonctionnement au quotidien et l’organisation d’un clan mafieux – et quelques scènes clés (un banquet de mariage immense, l’élimination décidée au plus haut niveau d’un
membre du clan devenu incontrôlable). C’est un peu le cousin nerveux et surexcité de la famille, qui marche à l’adrénaline et compense ses manques par la démesure des moyens mis en œuvre et par
sa vitesse d’exécution. Dans le trio central du récit, Henry / Ray Liotta est le narrateur, le point de vue semi-neutre qui guide le spectateur ; Jimmy / Robert De Niro est l’icône
référentielle, la figure classique du gangster qui rend l’univers immédiatement crédible ; mais c’est Tommy / Joe Pesci (oscar du second rôle) qui est le moteur du film, la personnification
de son énergie folle, tout à la fois grisante et effrayante. Scorsese le fait d’ailleurs revenir pour un plan final surprenant et sauvage, qui fait dévier in extremis l’épilogue de son cours
prévisible.

Démesure des moyens. Comme tous les meilleurs Scorsese, Les affranchis est une démonstration orgasmique du pur plaisir formel que peut offrir la pratique du cinéma. La
multiplication des lieux servant de décor aux méfaits des malfrats donne le tournis, surtout que ceux-ci se voient accorder une présence imposante dans le cadre et sont magnifiés par un
prodigieux souci du détail. Le passage des années s’accompagne de celui, clairement mis en évidence, des modes vestimentaires et de décoration, avec pour effet de faire se dérouler le film sur
fond de défilé gargantuesque de couleurs et de styles. La photographie signée Michael Ballhaus parachève le travail en se démultipliant en plusieurs styles très distincts et aussi ciselés les uns
que les autres : résurrection de la lumière extrêmement contrastée typique des années 60 pour les scènes de jour en extérieur, rouge infernal flamboyant qui engloutit les crimes les plus
sordides du trio… Et que dire de l’accompagnement musical de ces images, monstrueux juke-box idéal de 25 ans de culture rock et soul américaine dont la boulimie fait parfois s’enchaîner 3 voire
4 extraits de chansons sur une même séquence.

Vitesse d’exécution. Pour éviter le piège du travail d’illustration formelle étouffé par sa propre somptuosité, Scorsese s’en remet à sa méthode favorite : accélérer, toujours accélérer,
encore accélérer. Quitte à trouer son récit d’ellipses violentes, ou à donner une place prépondérante à la voix-off qui tire celui-ci dans son sillage, le cinéaste prend le parti d’un montage
décapant et sans temps morts, carburant à l’adrénaline pure. Et quand une séquence – brutale et retentissante, forcément – se doit de durer, l’énergie que le montage ne peut plus fournir est
prise en charge par les mouvements de caméra et les effets sonores à coups de zooms imprévus, de panoramiques tranchants, de bruitages sans commune mesure avec la réalité. Chaque scène devient
une question de vie ou de (petite) mort, d’obsession de tirer le maximum – plus un petit extra – de l’instant présent ; et cela que l’on soit protagoniste mafieux ou observateur cinéaste,
car le principal est de ne pas « avoir à vivre le reste de sa vie comme un abruti » – cette fois-ci la dernière phrase du film.

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