• Le roi de l’évasion, d’Alain Guiraudie (France, 2009)

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Où ?

Au ciné-cité les Halles, dans une des plus petites salles (le film vient d’ailleurs, ce mercredi, d’être recalé à l’Orient-Express, en demi-programme)

 

Quand ?

Dimanche après-midi

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Rares sont les films réellement indépendants (c’est-à-dire qui suivent leur propre voie, sans chercher à se couler dans un moule), tout en parvenant à rester parfaitement accessibles à ceux qui
sont prêts à les accueillir – sans exiger aucun prérequis de sérieux, d’implication ou d’érudition. Le roi de l’évasion est de ces films, tout comme le sont de l’autre côté de
l’Atlantique les comédies made in Apatow. Le rapprochement entre les deux est fait dans les Cahiers du Cinéma, à partir des dernières séquences du Roi de l’évasion et de
Pineapple express (j’y reviens plus loin). Les
correspondances de fond entre les deux œuvres sont en effet nombreuses (on rit beaucoup dans les deux, pour commencer), autant que les dissemblances de forme ; le long-métrage d’Alain
Guiraudie est aussi français que ceux de la bande à Apatow sont américains.

 

L’ancrage géographique du récit est dans un cas comme dans l’autre à la base de tout. Apatow & Cie se nourrissent des multiples facettes de Los Angeles ; pour Guiraudie, c’est dans le
Sud-Ouest que ça se passe, entre Albi et Montauban. Les deux petites préfectures de province, leurs rues désertes dès la nuit tombée, leurs ternes zones artisanales périphériques sont le lieu du
quotidien fastidieux, rébarbatif des personnages : engueulades par le patron, harcèlement par des bandes de petites frappes. La campagne et les forêts entre les deux villes offrent au
contraire un cadre rêvé pour la fuite, le débordement, l’évasion du titre. Tous les personnages sans exception y passent le plus de temps possible pour, au gré des divagations du scénario, fuguer
de chez ses parents (la jeune ado Curly – Hafsia Herzi, de La graine
et le mulet
) ; dealer et consommer une drogue naturelle, la « dourougne », aux puissantes facultés stimulantes et aphrodisiaques (quelques agriculteurs
d’abord, puis de plus en plus de monde à mesure que le film avance) ; et surtout, pour draguer et baiser en toute liberté et à répétition, homos comme hétéros, le héros Armand (Laurent
Berthillot) en tête.

Le roi de l’évasion est assurément très cru sur ce sujet du sexe – mais sans jamais tomber dans le vulgaire. Plus important, il ne se départit jamais à ce propos d’un esprit
joyeux, libertaire, fait de blagues alertes (le gel « sensation fraîcheur, seulement 6 euros à Intermarché ») et d’une absence totale de jugement moral. Le désir sexuel (et sa
concrétisation) ne pervertit pas, il ne conduit pas à la perte ; il existe, c’est un fait, qui plus est très agréable, alors autant en profiter. Voilà comment ce qui constitue l’horizon
inatteignable des américains, dans l’ensemble foncièrement puritains – les amitiés à forte connotation homosexuelle irrésolue dans Supergrave ou Step brothers, les femmes comme éternels êtres mystérieux voire
angoissants dans 40 ans toujours puceau et
En cloque mode d’emploi –, devient dans le cas
présent placé au premier plan, et débarrassé de tout contexte normatif ou restrictif… En dehors de ce point, Le roi de l’évasion et, par exemple, Pineapple express
(ou Walk hard dans un autre genre) partagent un
même goût pour le détournement allègre de codes de cinéma, exploités mais privés de leur finalité habituelle. Un aperçu de la routine professionnelle d’un vendeur de tracteurs comme dans une
chronique sociale, une enquête de police en fil rouge comme dans un thriller, une course-poursuite dans les bois à la Délivrance… mais les bifurcations sont incessantes, de même
que les parasitages internes (par un personnage, une réplique), et les pauses inopinées – qui sont presque toujours hilarantes, à petit feu.

La suspension plus marquante est l’arrêt d’Armand, au milieu d’une sortie cycliste, dans le minuscule bar d’un hameau perdu dans la campagne. En compagnie de l’excentrique trio de propriétaires,
la séquence se prolonge tant et plus, nous faisant passer par un rire incrédule et désorienté, puis par une surprise de taille (au sens propre), pour finir dans une ambiance de camaraderie
flirtant avec l’absurde. Un sommet… jusqu’à l’ultime scène, donc, qui siffle d’une pirouette brillante et subite la fin d’une intrigue qui n’a jamais réellement démarré, et qui assume rondement
de ne conduire nulle part. C’est une fugue sans conséquence ni résolution, qui laisse les personnages à leurs défauts (la lâcheté d’Armand, l’amertume de Curly par exemple) mais ne les accable
nullement pour cela. Dans Pineapple express, pour y revenir, toutes les péripéties endurées ne semblaient avoir pour unique but que de faire jaillir l’amitié profonde liant trois
losers patentés, amitié qui se concrétise au petit matin dans un diner anonyme. Ils sont quatre, tout aussi quelconques, à se retrouver au cœur de la nuit dans une petite cabane de forêt
à la fin du Roi de l’évasion ; et si le liant de ce quatuor n’est pas le rire mais le sexe, la finalité sereine et détendue des deux scènes est effectivement similaire. Et
déteint complètement sur le spectateur au moment de le rendre au monde réel.

 

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