• Le prestige, de Christopher Nolan (USA, 2006)

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Où ?

 

À Rodez, en DVD zone 2

 

Quand ?

 

Pendant le pont de la Toussaint

 


Avec qui ?

Ma fiancée, qui l’avait déjà vu, et sa famille (qui, de manière amusante, a servi d’exemple grandeur nature de ce que le film avance – j’y reviens à la fin de ma chronique)

 


Et alors ?

 
 

D’abord, un mot rapide sur les suppléments : rachitiques, à l’opposé de ce qu’on avait pu trouver sur les galettes d’Insomnia et de Batman
begins
, les précédents films de Nolan. De ces 20 petites minutes d’embryons de modules sur les différents aspects du film, on retiendra tout de même une
phrase :

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Le Prestige
démarre réellement au bout d’une vingtaine de minutes, quand après avoir attiré le spectateur dans sa toile en faisant se chevaucher plusieurs flash-blacks et en
présentant les personnages par l’intermédiaire de leurs tours de magie charmeurs, Nolan intercale une scène qui change brutalement notre perception. Il s’agit de l’explication d’un de ces tours,
dans lequel l’illusion consiste à masquer au public qu’un sacrifice a réellement lieu – un leitmotiv qui reviendra de manière de plus en plus pressante et tragique au fil du récit. Nolan nous
fait ainsi brutalement quitter notre siège de spectateur pour nous faire pénétrer dans les coulisses, qui sont loin d’être reluisantes vu comme l’omnipotence des deux rivaux lors de leurs
représentations leur fait perdre tout sens de la mesure.

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La très bonne idée du scénario est de mettre sur la route des deux hommes la révolution apportée par l’électricité, qui va leur permettre de pousser leur duel un cran plus loin. Nolan passe alors
habilement le cap de la science-fiction quasi-réaliste façon Ligue des gentlemen extraordinaires (le comic, pas le film), en ne la traitant ni au rabais ni de manière trop délirante.
Le Prestige y gagne en opulence à la fois scénaristique et visuelle, devenant un magnifique objet de cinéma. Le script parvient à allier la création d’un univers
provoquant fascination et confusion – et auquel la mise en images (lumière, cadrages, décors…) donne superbement vie – et un drame solidement charpenté autour de ses deux personnages principaux.
Comme lors de ses films précédents, Nolan tire le meilleur de son casting : Hugh Jackman et Christian Bale sont parfaits de tiraillements et de mystères, et la cascade de seconds rôles qui les
entourent (on y retrouve même David Bowie !) enrichit le film sans qu’aucun d’entre eux ne tombe dans le cabotinage.

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Coécrit avec son frère Jonathan, Le Prestige est le film le plus personnel de son auteur. Le thème de la relation ambiguë et complexe que des frères peuvent partager est
ainsi omniprésente, et sous-tend tout le drame. Surtout, sous prétexte de dévoiler l’envers du décor de la magie, Nolan parle en réalité de son propre métier. Il pousse la démystification jusqu’à
construire son film selon les principes d’un tour de magie tels qu’ils sont expliqués dans le film. Il faut 3 parties pour duper le spectateur : la mise en place, le tour, et le
« prestige », le rebondissement prétendument magique. Le scénario suit avec application ce schéma, tout en démontant en parallèle sa construction – ce n’est pas un hasard si la dernière
réplique est « You want to be fooled » (« Vous [les spectateurs] voulez être dupés »). Malgré cette explication de texte en temps réel, les spectateurs qui voyaient
le film pour la 1ère fois samedi dernier avec ma fiancée et moi ont eu du mal à accepter l’explication « rationnelle » – dans l’univers du film, s’entend – et forcément déceptive qui se
cache derrière le pseudo coup de théâtre qui emballe Le Prestige. Ils voulaient être dupés, croire à la magie.

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En plus de cette dépendance envers l’illusion du public qu’il faut sans cesse combler, Nolan évoque les ficelles peu ragoûtantes qui permettent d’y parvenir, l’obsession de la carrière et de la
gloire… et porte sur lui-même et ses semblables un regard extrêmement lucide et troublant. En creusant un peu (et en revoyant le film), il devient évident qu’à travers ses 2 héros Nolan oppose le
cinéma d’auteur, aux ambitions artistiques et intimes, d’où il vient, et sa Némésis commerciale, divertissement superficiel et sans âme qui se nourrit des créations des artistes talentueux et qui
parviennent à toucher le public. Le duel à mort entre les 2 opposants matérialisé par Le Prestige se retrouve à tous les niveaux, dans une mise en abyme sans
fin des méthodes de l’industrie : plagiats de scénarios, débauchages d’assistants, utilisation inavouée de doublures, création en série de clones. Par son insertion dans le film et tout ce
qu’elle implique, cette dernière idée est, quand on y repense, la plus géniale de toutes – l’équivalent fantastique du soldat vomissant au sens propre la société du spectacle dans
Mémoires de nos pères.

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