• Le pianiste, de Roman Polanski (France-USA-Pologne, 2002)

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Où ?
Chez moi, en DVD zone 2 Wild Side (l’édition simple ; les bonus du double DVD sont assez quelconques)

Quand ?
Jeudi soir

Avec qui ?
Ma femme

Et alors ?

La pluie de récompenses qui s’est déversée sur Le pianiste lors de sa sortie (Palme d’Or, césars et oscars à la pelle – respectivement 7 et 3) est due pour beaucoup à tout ce que
Roman Polanski est allé chercher dans le cinéma muet : une universalité, une sensibilité exacerbée et une immédiateté du récit véhiculées par la seule force de la mise en scène. Le récit de
l’incroyable survie (6 ans, dont 4 dans une solitude presque totale) de Wladislaw Szpilman dans le ghetto de Varsovie pendant la 2nde Guerre Mondiale a fourni au cinéaste matière à traiter de
manière oblique ses propres souvenirs d’enfance dans le ghetto de Cracovie, trop intimes pour être exposés crûment à l’écran.

Une fois que l’on a évoqué ces 2 clés de lecture, on a presque tout dit du Pianiste. Pendant tout le film, Polanski filme au plus près du corps de son héros la plongée en
solitaire de ce dernier dans un monde de plus en plus dénué d’humanité. Les 2 seuls plans larges (extrêmement larges) du film viennent souligner les instants où la folie destructrice des nazis
atteint son paroxysme : le regroupement des juifs du ghetto en un même lieu avant de les entasser dans les trains en partance pour les camps de concentration, et un instant de cauchemar
terminal où Szpilman, finalement abandonné à lui-même, s’enfuit dans une avenue transformée en champ de ruines.

Hormis ces 2 ponctuations, Le pianiste est une succession exclusive de saynètes courtes, souvent en plans fixes, aux dialogues réduits à des considérations de 1ère
nécessité : se cacher, manger, fuir, dormir. Et éviter au maximum les rencontres avec les nazis, qui se soldent invariablement par la mort donnée arbitrairement à tout ou partie des juifs
croisés, qu’ils aient une certaine importance dans le récit ou qu’ils soient anonymes. Le pianiste est une épreuve physique plus qu’intellectuelle ou émotionnelle, et sa
sécheresse extrême – dans les cadrages, les coupes, le mixage où les sons ressortent à vif – est la traduction immédiate de la barbarie nazie, qui impose aux vaincus une vie de bête d’où sont
éradiqués la compassion, le dialogue, la raison, l’art…

Le métier du personnage central n’est pas neutre. Même s’il s’y attarde moins que le livre autobiographique dont il est tiré (et pour cause, le véritable Szpilman avait une peur panique de perdre
son doigté au piano, et par là-même la seule chose créatrice qu’il savait faire, à force de mauvais traitements et du manque de pratique), le film fait de la création artistique sa question
centrale, sa motivation profonde. L’art peut-il, doit-il survivre à de telles horreurs ? Polanski répond oui aux 2 questions. L’art doit survivre, car il est par son immatérialité et sa
fragilité (pendant ses longs mois de solitude, Szpilman se rejoue mentalement ses morceaux favoris ; un moment de calme, mais aussi une nécessité pour les empêcher de s’évanouir) la seule
porte de sortie par le haut pour l’être humain. La démonstration est belle, mais flirte d’un peu trop près avec le convenu dans l’épilogue.

La réponse à l’autre question est autrement plus marquante car plus ambiguë. En effet, c’est l’image artistique qu’il a auprès des autres qui va permettre à Szpilman de sortir vivant de cet
enfer, lui plutôt que d’autres y compris au sein de sa famille. Sa qualité de pianiste le rend visible et identifiable chez les policiers polonais, lui ouvre des connections chez des non-juifs
pouvant l’accueillir hors du ghetto et, en point d’orgue du récit, lui sauvera la vie dans un face-à-face final avec un officier nazi. Sous la patine des bons sentiments qui font forcément
l’unanimité, Le pianiste présente donc aussi une vision équivoque de l’art, critère parmi d’autres d’une sélection naturelle entre les hommes qui n’est ni bonne ni mauvaise,
simplement inévitable.

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