• Le drôle de Noël de Scrooge, de Robert Zemeckis (USA, 2009)

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Où ?

Au MK2 Quai de Loire, qui propose à son tour des projections en 3D

 

Quand ?

Mardi, à 22h

 

Avec qui ?

Ma femme

 

Et alors ?

 

La seule chose de « drôle » dans Le drôle de Noël de Scrooge est le choix de cette traduction de titre. Parmi les adjectifs disponibles dans la langue française,
j’aurais personnellement plutôt opté pour « sombre », ou « angoissant » – « terrifiant » peut même s’appliquer de manière régulière tout au long du film. Le label
Disney arboré par celui-ci, et le budget confortable qui va avec, n’ont pu être obtenus que suite à une opération de manipulation rondement menée par le réalisateur Robert Zemeckis ; par exemple,
venir au rendez-vous de présentation du projet avec Jim Carrey vêtu de son plus beau costume d’un côté et un DVD du mignon / gentillet / children friendly Le Pôle Express
de l’autre pour amadouer – et flouer – les décideurs. Après quoi il est reparti avec le (gros) chèque en poche et s’est enfermé à double tour dans son studio de motion capture. Et il y a fait un
film qui, en dehors de son expéditif happy-end et de sa bande-son sirupeuse pesante, ne respecte absolument aucune des clauses du cahier des charges de chez Disney. C’est la première fois depuis
dix ans et Kuzco, dans un tout autre genre, que l’on est témoin d’un tel acte de sabotage de l’intérieur d’un film du studio.

Depuis ce coup d’essai du Pôle Express, chaque nouveau long-métrage arrivant tous les deux ans en moyenne du studio de Zemeckis fait grandir et mûrir le film d’animation à pas de
géant. Monster house (dont il était le
producteur) s’adressait aux pré-adolescents prêts à s’aventurer dans des maisons hantées, La légende de Beowulf aux ados et autres « adulescents » mordus d’aventures mythiques comprenant dragons et princesses. Le
drôle de Noël de Scrooge
, dernière étape de cette progression, entre de plain-pied dans l’âge adulte, sa dureté, son âpreté, sa conscience – et donc sa hantise – de la mort. Pour ce
faire, Zemeckis adapte de nouveau, après Beowulf, un classique de la littérature anglo-saxonne : le Christmas Carol de Dickens. Son film suit à la lettre (jusqu’au style
de langage qui, appuyé par la performance vocale de Jim Carrey, en fait un régal en V.O… pour les adultes anglophones) ce récit plongé de bout en bout dans une atmosphère glauque et agressive.
Atmosphère dont Scrooge, vieil usurier aigri et misanthrope au dernier degré, est tour à tour la cause ou la victime – il n’est en tout cas jamais neutre. Un personnage principal à ce point
antipathique fait inévitablement le vide autour de lui. Humour et amourettes à l’eau de rose n’ont ainsi pas droit de cité dans Le drôle de Noël de Scrooge, ou alors uniquement
pour être fauchés dès leur éclosion.

Comme si la noirceur des pensées de son propriétaire déteignait sur elle, la demeure de Scrooge est un cadre inquiétant, difforme, fait de recoins et d’ombres qui sont autant de dangers
potentiels. Quant à ses grandes pièces vides, elles sont idéales pour être occupées par les spectres qui viennent tour à tour hanter Scrooge. Pour ces apparitions cauchemardesques allant
crescendo dans la terreur, Zemeckis magnifie le principe génial imaginé par Dickens par l’usage qu’il fait de la technique toute-puissante (décors virtuels, caméra virtuelle, acteurs virtualisés)
qu’il a à sa disposition. Chaque visite se matérialise sous la forme d’une séquence virtuose, reposant sur l’exacerbation d’une composante du septième art. La démonstration démarre par la
bande-son, avec les bruits tétanisants et assourdissants des chaînes et des boulets qui emprisonnent le premier spectre, ancien associé de Scrooge condamné au purgatoire. C’est ensuite par
le montage que le Fantôme des Noëls passés navigue dans le temps et explore en accéléré l’histoire de la vie de Scrooge ; puis le Fantôme du Noël présent use du cadrage pour voyager pour sa
part dans l’espace, en projetant devant les yeux de Scrooge les célébrations de Noël se déroulant à d’autres endroits de la ville. Enfin l’apparition du plus funeste de tous, le Fantôme des Noëls
à venir, combine ces précédents éléments dans une mise en scène expressionniste qui ne se contente plus de modifier la perception que l’on a du monde, mais le monde lui-même. La poursuite
furieuse et lugubre dans les rues de Londres entre lui et Scrooge (entre l’enfer et Scrooge, peut-on même dire), jusque dans la tombe promise à ce dernier, enfonce définitivement le clou :
Le drôle de Noël de Scrooge est un divertissement pour enfants raté, mais un conte pour adultes très réussi (d’ailleurs, à la caisse du cinéma, une petite affiche
déconseille le film aux moins de 10 ans…).

Plus encore que par le niveau de détail toujours plus spectaculaire qu’il est en mesure d’atteindre (les rides du visage et les crevasses des mains de Scrooge sont l’une des visions les plus
époustouflantes de l’année), Zemeckis épate parce qu’il a su pleinement intégrer la 3D à son processus créatif. Pour la première fois depuis la (ré)apparition de cette technologie, il est patent
que l’immense majorité des plans d’un film présenté de la sorte a été réellement pensée pour être vue en 3D. Le drôle de Noël de Scrooge est un festival de champs-contrechamps
extrêmes entre les personnages, d’axes de prises de vues où la ligne de fuite file à l’infini, de cadrages à la profondeur de champ immense… Autant de choses à la fois impossibles à faire en
prises de vues réelles et dont l’impact est accru par la vision en relief. Voilà un long-métrage véritablement en volume, et en cela capable de proposer une autre perception, d’autres conventions
de cinéma.

Zemeckis étant en plus un maître dans l’art d’imprimer à ses films (de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? à Seul au monde) un rythme d’enfer sans baisse de
régime, son Drôle de Noël de Scrooge est d’une grande homogénéité – l’impression de relief est constante, elle ne surgit pas de manière intermittente lors des
moments choc – et d’une grande fluidité. Les quatre-vingt-dix minutes semblent passer en un souffle, un unique mouvement de caméra ininterrompu. Le Avatar de James Cameron, autre
maître du divertissement hollywoodien, qui arrive dans huit jours va peut-être être la révolution promise ; mais qu’il parvienne déjà simplement à surpasser la référence que constitue
Le drôle de Noël de Scrooge et il y aura de quoi être franchement impressionné.

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