• La rafle, de Roselyne Bosch (France, 2010)

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rafle-1Où ?

Au ciné-cité les Halles

Quand ?

Lundi soir

Avec qui ?

MaFemme

Et alors ?

 

« Tous les événements, même les plus extrêmes, ont eu lieu cet été 1942 »

 

Toute l’ambivalence de La rafle, sa schizophrénie même, est contenue dans cet avis liminaire. D’un côté, une soumission absolue à la dictature – trompeuse – du fait authentique,
de l’objectivité souveraine et inaltérable de sa vérité. De l’autre, l’usage d’un adjectif (« extrême ») naturellement associé à des inclinations spectaculaires qui n’ont certainement
pas leur place dans une quête d’exactitude telle que celle mise en avant à grand renfort de communication par l’équipe du film. Le plus triste dans l’affaire est que La rafle perd
sur les deux tableaux. L’impératif auto-infligé de ne pas bouger un orteil sur la voie de la fiction, en ce qui concerne les personnages des martyrs juifs victimes de la rafle du « Vél’
d’Hiv », empêche précisément ceux-ci d’accéder à ce statut de personnage. Ils sont privés de ces scènes qui établiraient la nature de leurs vies personnelles, certes insignifiantes aux yeux
de l’histoire savante de la Shoah mais essentielles pour qu’un récit, une reconstitution même réalistes soient véritablement incarnés. L’ancien combattant juif polonais exilé en France,
l’infirmière de confession protestante qui soulagea autant que possible les souffrances des raflés dans leurs lieux d’enfermement successifs et tous les autres demeurent de part en part des
silhouettes effacées, anodines, déplacées violemment d’un fait historique global et documenté au suivant – la rafle à l’aube du 16 juillet 1942, l’internement au Vélodrome d’Hiver, le camp de
Beaune-la-Rolande.

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Il y avait pourtant là matière à raconter des destins individuels attachants et emblématiques du drame humain inconcevable qui s’est produit à cette époque – et aussi, sur le plan
cinématographique, tirer réellement profit des talents des comédiens présents (Gad Elmaleh, Mélanie Laurent…), ici sous-exploités. Mais au-delà de cette déception, le véritable embarras causé par
ce procédé d’ultra-réalisme est qu’il mène à un résultat terriblement contreproductif. Telles qu’elles nous sont montrées, les victimes du génocide ne sont pas seulement écrasées par les
événements ; elles sont totalement déshumanisées par eux, réduites au rang de numéros indistincts dans un inventaire [La rafle abuse d’ailleurs de cette technique de
l’énumération, transformant ses dialogues en récitation artificielle du laconique bilan chiffré de chaque partie de la rafle]. La rafle nous montre les juifs tels que les nazis et
Vichy les voyaient, une simple suite de noms couchée sur le papier. Même l’impact émotionnel, moral de leurs morts est nié, soustrait à notre attention car celles-ci sont rejetées hors du champ
du film – et je ne parle pas seulement des quelques secondes ou minutes avant le décès, mais de toute l’étape terminale qui le précède. Cet abandon n’épargne personne, pas même les personnages
que l’on pensait être de premier plan. Il a, comme autre fâcheuse conséquence, de donner le sentiment que le film considère que l’horreur de la Shoah tient moins à l’extermination de millions
d’individus qu’au traumatisme infligé aux enfants qui y ont survécu.

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Au final, le seul à se voir octroyer un suivi consistant, une personnalité, une histoire est… Hitler. Car oui, Hitler en personne est convoqué par le scénario dans son entreprise de traitement
exhaustif des événements de juillet 1942. Le Führer apparait donc à intervalles réguliers, tel un chœur antique à lui tout seul qui scande (ou plutôt provoque) les souffrances des raflés. En
remontant aussi haut dans la chaîne des responsabilités, et en rapportant l’ensemble des actions et décisions de tous à la rafle du Vél’ d’Hiv, le film se place dans une position de genèse, tant
vis-à-vis de l’histoire – en faisant de cette rafle la première calamité majeure de la guerre – que de sa transmission auprès du public – en considérant que c’est la première fois que le
récit des crimes nazis nous est fait. La rafle s’adresse donc, concrètement, à des enfants ignorants, innocents, et demande aux adultes de se comporter comme tels. La majeure
partie du film est d’ailleurs vue depuis le point de vue d’enfants ; ce qui reste perpétuellement une excuse prisée pour dégrader la valeur intellectuelle de l’œuvre que l’on est en train de
commettre.

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Ce qui amène à un autre échec de La rafle. L’exigence de véracité absolue y est visiblement à géométrie variable, puisqu’appliquée de manière bien plus lâche à tout ce qui entoure
les raflés qu’à ceux-ci. Tout l’arrière-plan du film est traité au moyen de scènes grossières dans leur écriture et leur mise en scène, caricaturales dans leur désir de simplifier le contexte et
les enjeux. La vision de Paris limitée à trois rues pavées « pittoresques » de Montmartre, la description de la vie des juifs avant la rafle comme étant paisible et bienheureuse (comme
s’il y avait besoin de ça pour qu’on saisisse le caractère abominable de la rafle et de ses suites), les réunions des nazis dans un bureau surplombé par une immense croix gammée sont des choses
non seulement grotesques mais aussi, pour s’en tenir à l’angle d’examen annoncé par le film, irréalistes ; et tout à fait spectaculaires, au sens de fournisseur de spectacle.
Lorsque la mise en scène observe les raflés, elle s’affirme neutre ; mais lorsqu’elle montre Hitler discutant des fours crématoires autour d’un barbecue tout en faisant des blagues sur les
cocktails Molotov, ou qu’elle donne comme seule image des camps de la mort une composition avec un officier SS au premier plan et derrière lui des flammes géantes sur toute la largeur de l’écran
(les flammes de l’enfer, en somme), cette neutralité n’est absolument plus de mise. Elle laisse la place au symbolisme le plus manichéen qui soit, classant les catégories de gens – et
certainement pas les gens eux-mêmes – en deux colonnes, les « bons » et les « méchants ».

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Méchants : les nazis bien évidemment, et à leurs côtés le tandem Pétain – Laval, les miliciens, et une boulangère antisémite dont chaque réplique est une injure en ce sens, et qui est donc
là pour représenter à elle seule toute la mauvaise conscience française. Car chez les bons, ça se bouscule : les pompiers, les infirmières, les policiers (qui préviennent de l’imminence de
la rafle), les gendarmes (qui font leur boulot mais qui sont rachetés car s’ils ne le faisaient pas, eux-mêmes seraient fusillés), les concierges, les voisins… Ce qui est à l’œuvre ici n’a rien
d’une reconstitution impartiale et visant uniquement à « se souvenir », c’est une manipulation du spectateur via l’orientation forcée de son jugement sur les personnages. Une pratique
dont j’ai traité il y a peu dans cet article. Dans
La rafle comme dans Lebanon, le but visé est on ne peut plus louable. Mais les moyens employés sont inadmissibles car reproduisant des mécanismes généralement
considérés comme inhérents aux idéologies qu’il est question de condamner. La classification brutale des individus, sur la base de jugements à l’emporte-pièce énoncés à l’encontre d’un groupe et
ce sans laisser de place à la nuance où à la différence, est typiquement une technique de persuasion adoptée et perfectionnée par des mouvances politiques bien peu recommandables.

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Sur le fond, La rafle n’est donc en aucun cas la vérité proclamée. Sur la forme, ce n’est pas non plus un bon film. L’absence d’une intention stylistique franche, qui guiderait
les choix de la réalisatrice Roselyne Bosch, fait tomber celle-ci dans les filets du piège de l’esthétique moderne par défaut. Celle-là même qui embrasse aussi bien les téléfilms produits à la
chaîne que les publicités qui les fractionnent, jusqu’à rendre les uns et les autres indifférenciables. Dans La rafle, la lumière est aussi chaleureuse que dans un spot vantant
les mérites d’un produit au choix parmi une voiture, une assurance-vie, de l’eau minérale en bouteille. Les images de synthèse sont employées sans réflexion quant à leur caractère spectaculaire
(le zoom arrière sur le vélodrome bondé). Les décors et maquillages restent en permanence présentables, suffisamment propres sur eux. La force d’attraction du « beau » cinéma a pris le
dessus sur le respect de la dégradation physique imposée aux corps et aux lieux par l’état de guerre et les privations. C’est là un bien mauvais moyen de préserver la mémoire des victimes de la
rafle du Vél’ d’Hiv, et plus généralement de la Seconde Guerre Mondiale.

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