• La liste de Schindler, de Steven Spielberg (USA, 1993)

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Où ?

En Toscane, en DVD zone 2

 

Quand ?

Mi-juillet

 

Avec qui ?

Seul

 

Et alors ?

 

Puisque cela m’a porté sur les nerfs dans la bande-annonce de The reader (qui, par ailleurs, semble ne pas mériter plus que ces 2 minutes 30 d’attention), il n’est pas question de
faire deux poids deux mesures : les acteurs qui interprètent des personnages polonais et allemands en anglais avec un accent typique d’Europe de l’Est forcé, cela m’énerve aussi dans
La liste de Schindler. Cette convention qui choisit de ne pas choisir, et aboutit à un compromis bâtard entre véracité et accessibilité au grand public (américain), se double dans
ce second film d’une manière franchement racoleuse de faire soudainement parler les soldats SS en allemand, dès lors qu’ils éructent des ordres et des menaces à l’encontre des prisonniers juifs
dont ils ont la garde.

Ce n’est là qu’un des nombreux moyens employés par Spielberg pour mettre en place ce qui a tout d’une prise d’otages émotionnelle du spectateur. Dans La liste de Schindler, les
nazis sont des bourreaux très très très méchants, et les juifs des victimes très très très innocentes ; c’est là une affirmation on ne peut plus vraie, mais à l’intérêt cinématographique
maigre. D’autant plus maigre que Spielberg brouille considérablement le message véhiculé par son long-métrage, en y faisant côtoyer des signaux habituellement rattachés à des œuvres dures et sans
concession – en particulier, une grande crudité graphique dans la représentation des corps, dénudés et humiliés, décharnés ou bien criblés de balles lors d’exécutions sommaires – et le souci de
beauté soignée, d’esthétique léchée dont il est coutumier. Le plus dérangeant dans l’affaire est le pas de deux constant auquel le réalisateur se livre avec la mort. Parfois il la montre
frontalement et sans coupe, parfois il la rejette hors champ pour n’en montrer que le résultat barbare, et une fois, la pire (lors de l’incursion à Auschwitz), il s’en sert comme support à un
suspense des plus douteux entre chambre à gaz et salle de douche collective. A revoir cette séquence, le « gag » du frigo et de la bombe atomique dans Indiana Jones 4 se découvre soudainement un aïeul tout aussi
limite.

Plus généralement, le Spielberg de La liste de Schindler n’est pas celui qui réalisera dix ans plus tard les épatants et réellement adultes Minority report et
La guerre des mondes : au début des années 1990, son surmoi d’entertainer surdoué et convoitant l’amour et la reconnaissance de tous est encore largement le plus fort.
Entre ses mains, tout est manipulé, détourné de sa sincérité originelle, à l’image du choix d’une photographie « historique » en noir et blanc, qui devient au final un noir et
blanc splendide, une pure performance plastique ciselée dans chaque plan pour tirer le meilleur parti des jeux d’ombre et de lumière. La musique opératique, la durée (trois heures, pour beaucoup
de redites et de temps morts), le saut final dans le temps vers le présent sont autant d’autres éléments appuyés avec une telle insistance qu’ils en deviennent écrasants. Ils ôtent tout souffle
au récit, muté en une bête de concours dopée à tous les procédés prisés par l’Académie des Oscars.

Sous cette opulente tenue d’apparat, La liste de Schindler est en réalité un conte de fées parmi tant d’autres réalisés par Spielberg. Les personnages y sont assignés à des
fonctions uniquement symboliques – les méchants très méchants et les innocents très innocents dont je parle plus haut – et certains le portent même physiquement sur eux, tels le colonel SS
(sur)joué par Ralph Fiennes est affublé d’un embonpoint ventral grotesque ou la petite fille juive dont le manteau rouge clair constitue l’unique touche de couleur intégrée au film. Chose
embarrassante pour un film de trois heures, aucun des protagonistes n’a d’existence propre, de trait de caractère qui le distinguerait réellement de ses semblables – pas même le premier d’entre
eux, Oskar Schindler. Sa conversion à la cause du sauvetage des juifs est un fait auquel le film ne donne jamais vraiment de consistance psychologique. Elle a lieu, voilà tout, de la même façon
qu’un événement merveilleux peut avoir lieu dans le monde d’un conte de fées. Et elle nous est servie sous la forme d’une scène pompière, où le comptable juif de Schindler tient solennellement la
liste dans les mains et déclare, à l’attention du spectateur (il est quasiment face caméra) plus qu’à celle de son patron et interlocuteur « Cette liste, c’est le Bien à l’état pur. Tout
autour de ses bords, il n’y a que le néant »
. C’est ce que l’on appelle hurler avec un mégaphone dans l’oreille du public.



Bien sûr, à côté de cela, La liste de Schindler est également une œuvre empreinte d’un grand savoir-faire, dont plusieurs séquences sont réellement marquantes : l’immense
brasier dans lequel les SS font brûler les milliers de cadavres juifs enterrés dans des fosses communes, l’arrosage d’eau fraîche sur les convois de juifs à l’arrêt sous un soleil brûlant
commandé par Schindler sous les rires moqueurs des SS, la dernière nuit à l’usine en attendant l’heure où la reddition allemande prend effet… Mais ce ne sont là que des oasis où émerge
l’émotion, au milieu d’un long désert devenu aride à force de calculs et d’intentions parasites. On est là à des années-lumière de l’intensité tragique du Pianiste.

 

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