• La dolce vita, de Federico Fellini (Italie, 1960)

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Où ?

A la maison, en DVD zone 2 édité par Les films de ma vie (avec un effort minimal sur les sous-titres : tout ce qui n’est pas de la 1ère importance pour la compréhension de l’intrigue n’a pas été
sous-titré)

Quand ?

Samedi soir

Avec qui ?

Seul

Et alors ?

La dolce vita est l’un des sommets de la carrière de Fellini, et remporta la Palme d’Or au festival de Cannes en 1960. Très complexe dans sa construction, le film séduit dans ses
1ères minutes par la figure féminine inoubliable incarnée par l’actrice suédoise Anita Ekberg, et par l’allégeance du cinéaste au souffle tout récent de la Nouvelle Vague. Les 400
coups
et A bout de souffle datent de l’année précédente, et Fellini cite explicitement
ce mouvement révolutionnaire comme ayant pris la relève du néo-réalisme qui dominait le cinéma italien depuis Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini. Fellini ne se contente pas de rendre hommage ; il applique également
à sa propre œuvre les principes de la Nouvelle Vague. Il fait sienne l’inscription appuyée dans la modernité et dans la réalité (La dolce vita est un film foncièrement urbain,
grouillant de vie et de technologie ; il comporte de plus de nombreuses scènes où l’action est vue à travers le filtre de l’information, des journalistes), ainsi que des caractéristiques plus
profondes du mouvement – récit éclaté, personnages hauts en couleurs, ton doux-amer.

Quant à la sublime Anita Ekberg, même ceux qui n’ont pas vu le film connaissent la scène mythique où elle se baigne toute habillée, en plein milieu de la nuit, dans la Fontaine de Trevi et
supplie « Marcello, Marcello ! » de l’y rejoindre. Cette héroïne n’est pas une femme, mais un fantasme de femme aux formes parfaites, au sourire enchanteur, au caractère
adéquat – libéré, libertin, joyeux, tendre, maternel… Son passage nocturne dans le film est comme un rêve éveillé, dont la conclusion abrupte (au petit matin, elle retourne à son hôtel où
l’attend son fiancé avec lequel elle repartira en laissant en plan Marcello) donnera à tout ce qui suivra un arrière-goût fade et désolé.

C’est en effet seulement après ce long prologue que La dolce vita embrasse son véritable sujet, qui prend la forme d’une question posée par le film aux spectateurs, et par le
héros à lui-même : « comment vivre ? ». Dans une réalité terne et sans extase immédiate, ou dans une fête renouvelée en permanence mais fondamentalement stérile ? Le dilemme se
cristallisera plus précisément sur le sujet des enfants – en avoir ou en rester un soi-même. La quête existentielle de Marcello (Mastroianni, inoubliable dans un rôle à la fois présent et absent,
acteur et spectateur) se déploie au fil d’une suite de sketches sans lien entre eux autre que la présence du héros, sketches qui sont autant de réponses déceptives, inadéquates. Après la 1ère
partie sur la star, hors du monde réel (mais qui fait naître chez Marcello ce sentiment profond et irréparable d’imperfection) viennent 2 séquences en miroir sur la possible solution de la foi.
Celle-ci s’exprime tout d’abord à travers la religion chrétienne traditionnelle, de la campagne (une soi-disant apparition de la Vierge à 2 enfants), puis chez la bourgeoisie urbaine à travers le
culte de l’art, de la créativité humaine. La longue saynète suivante fait intervenir le père du héros, « piégé » à longueur d’année avec sa femme en province et qui vient s’encanailler
en ville – il drague une danseuse de l’âge de son fils, boit, danse mais au final frise l’infarctus, et rentre honteux chez lui.

Chacun de ces tableaux (il en sera de même pour les suivants) repose sur la musique entêtante et ininterrompue de Nino Rota, des dialogues sans queue ni tête remplis de digressions, des costumes
décadents. Et surtout sur l’enfermement des personnages dans un décor à la fois géant, où toutes les folies semblent possibles, et clairement délimité, clos, qui ne propose rien de viable sur le
long terme. Fellini, en plus d’exprimer là tout son génie formel, signe une étonnante métaphore anticipant ce qu’est de nos jours notre espace vital à chacun, faussement infini et où l’on tourne
en fait en rond. D’où ce sentiment permanent, indélébile – et même de plus en plus pressant, jusqu’à emplir tel un gaz invisible mais toxique tout l’espace dans une dernière scène en apparence
orgiaque et débridée – de profonde mélancolie, de ratage généralisé, d’impasse face à la question d’origine concernant la conduite de nos vies.

Non, nous ne savons pas vivre, et les 2 derniers segments ne s’encombrent plus du moindre tact pour nous jeter cette réponse cinglante au visage. Fellini nous y fait plonger au fond du néant
intellectuel de la jet-set. Marcello est d’abord protégé dans un rôle neutre d’observateur extérieur à une fête suivie de la visite d’un château prétendument hanté ; puis, après un drame
traumatisant (le suicide, après avoir tué ses enfants, d’un de ses amis chers et modèle, vu dans le sketch sur l’art – la scène a la douleur crue et acérée d’une gueule de bois après une nuit de
débauche écervelée), il devient partie prenante du carnaval, de la mascarade. L’ironie grinçante du titre La dolce vita prend tout son sel – jeté à vif sur la plaie – dans cette
dernière parade tétanisante, prenant d’ailleurs place dans un décor plus étriqué que les précédents, où l’alcool, la danse, le sexe semblent pouvoir durer indéfiniment mais sont complètement
vidés de toute finalité. Enfermés volontiers dans le divertissement perpétuel, accrochés à la queue de la comète de vies fantasmées qui ne seront jamais la leur (voir l’importance donnée tout au
long du film aux paparazzis, mot d’ailleurs inventé par ce film), ces personnages sont notre reflet déformé – ou fidèle ?

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