• La Chose d’un autre monde, de Christian Nyby et Howard Hawks (USA, 1951)… et un dérivé

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Où ?

 

À la maison, en DVD zone 2 des éditions Montparnasse

 

Quand ?

 

Le week-end dernier

 


Avec qui ?

 

Seul

 


Et alors ?

 

La Chose d’un autre monde est un modèle de la science-fiction américaine des années 50, période durant laquelle la double influence de la menace de l’apocalypse atomique
et de la bipolarisation du monde a rendu le genre florissant en même temps qu’il en a radicalement modifié l’approche. Dans un contexte aussi clairement défini (nous gentils, communistes
méchants, et la fin du monde réduite à la pression d’un bouton), le surnaturel peut tout à fait être abordé de manière frontale, directe, sans les détours et les pincettes pris aujourd’hui par
les réalisateurs pour surmonter pas à pas l’incrédulité initiale du spectateur.

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C’est ainsi qu’est traitée l’une des séquences les plus marquantes du film, celle de la découverte de la soucoupe volante enfouie sous la glace. Ses dimensions démesurées et la perfection de sa
forme circulaire sont exposées aux personnages en même temps qu’au spectateur, plein cadre, pour un effet incroyable encore aujourd’hui, à l’âge des images numériques perfectionnées.
L’explication du fonctionnement vital de la Chose – qui est au règne végétal le bout de chaîne que l’homme est pour le règne animal ; soit une sorte de plante carnivore ultra-perfectionnée
et de forme humanoïde, limitations dues aux effets spéciaux obligent – suit la même logique, en prenant la forme d’un discours scientifique énoncé et écouté avec sérieux, sans panique ni
incrédulité.

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Cette acceptation que le mal est arrivé et qu’il faut le combattre ouvre sur des développements idéologiquement limites, comme on va le voir plus bas, mais est également synonyme d’une totale
efficacité en termes de cinéma. Forcément, par son style franc et qui va droit au but, Howard Hawks (le méconnu Christian Nyby est crédité au générique, mais cela tient plus de l’emploi fictif
tant l’emprise de Hawks sur le tournage a été totale d’après tous les témoignages) est le réalisateur idéal pour conduire un tel programme. Sa préférence donnée à l’action sur la réflexion, au
professionnalisme sur la remise en question, prend toute sa mesure dans le canevas rebattu du film d’horreur, tant dans les scènes de dialogues de « remplissage » entre 2 sursauts (un
régal de marivaudage récurrent et d’égal à égal entre le commandant de la base militaire et l’infirmière) que dans l’action pure. Les assauts de la Chose et les ripostes des soldats combinent
vitesse et férocité, avec en point d’orgue la tentative désespérée – mais oh combien impressionnante – des humains de tuer leur adversaire par le feu.

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Les bonus se révèlent très instructifs pour analyser et rendre supportable l’autre dominante du film, son caractère paranoïaque et de repli sur soi face à l’inconnu, avec pour consécration un
épilogue qui étale sans honte ses desseins propagandistes. Une longue analyse de séquences (presque un commentaire audio) de Jean-Baptiste Thoret décrypte cette volonté sous-jacente qui guide
d’un bout à l’autre La Chose d’un autre monde. Thoret développe pour cela une intéressante et convaincante théorie sur le hors-champ, qui permet de repousser le mal à
l’extérieur du cadre, et donc de la civilisation. De là viendrait aussi le retrait de l’idée centrale dans la nouvelle d’origine (idée reprise par John Carpenter dans The
thing
, sa propre adaptation du texte) que la Chose peut changer d’apparence : une telle ambigüité sur la nature profonde des personnages n’est pas concevable dans les USA des
années 50, en tout cas pour un conservateur droit dans ses bottes comme Hawks. Ce fort ancrage à droite du cinéaste est ici contrebalancé par les convictions de gauche du scénariste Ben Hecht,
contestataire et critique de l’état d’esprit américain. Ce qui donne des contradictions internes, voire des déchirements parfois assez déroutants : chaque scène peut être vue comme
l’apologie ou la dénonciation d’une même attitude belliciste. Avec le recul des années, cette hétérogénéité participe à l’intérêt de La Chose d’un autre monde.

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Les autres suppléments font intervenir des noms bien plus prestigieux – mais Spielberg, Lucas, Cameron et Scott sont surtout là pour faire joli sur la jaquette, le montage de leurs interviews
étant particulièrement court et superficiel. Par contre, l’entretien avec Carpenter est très réussi, entre admiration lucide du maître Hawks (Carpenter dit pudiquement qu’ils n’ont « pas
les mêmes idées »
) et pertinente leçon d’adaptation d’une nouvelle pour coller aux peurs de 2 époques différentes : l’invasion communiste au temps de Hawks, la peur plus intime
mais pas moins violente du corps imparfait dans les années 80 de Carpenter.

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Un autre cas exemplaire mais
moins connu de la science-fiction paranoïaque – et donc géniale – de cette époque est Des monstres attaquent la ville (1953, titre original :
Them !) de Gordon Douglas. Le concept est une invasion de fourmis géantes, qui ont muté suite aux 1ers essais nucléaires menés dans le désert du Nevada. Loin d’un
navet de série Z, Them ! est une vraie réussite qui a peu vieilli, grâce à des effets spéciaux réussis et à des ingrédients de base qui rappellent La
Chose… 
: récit réduit à l’essentiel (80 minutes), personnages militaires et scientifiques archétypaux, chape de terreur et de fin du monde éventuelle qui pèse sur l’ensemble de
la société américaine – au milieu du film, un montage malin montre une succession de victimes des fourmis, où l’on retrouve une mère de famille, des gangsters, des hommes dans la force de l’âge,
des enfants…

 

Them ! se distingue de la masse des successeurs de La Chose… pour 2 raisons. Lui aussi a inventé des motifs désormais classiques : les
galeries suintantes et les salles de ponte des fourmis ont été reprises à l’identique par James Cameron dans Aliens, tandis que la forme de reportage journalistique du
film, très novatrice pour l’époque, nourrit aujourd’hui encore le cinéma bien au-delà du genre horrifique. Par ailleurs, et contrairement à La Chose…,
Them ! développe volontairement une vision plus tempérée du monde et partage les torts : les fourmis ont été créées par les américains, et leur abattage final
est filmé comme l’œuvre d’un peloton d’exécution – pas très flatteur pour les héros, donc.

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